Le milieu des affaires compte aujourd'hui de nombreuses réussites. On devrait y retrouver plusieurs exemples d'hommes et de femmes qui mettent à profit les ressources de leur position et de leur intelligence pour soutenir une vision de la culture qui fasse une large place aux oeuvres du patrimoine culturel de notre pays et des grandes civilisations du monde.

Ce n'est pourtant pas ce qu'on constate, avec regret. On a vite recensé sur les doigts des deux mains le nom des collectionneurs de grand mérite. Parmi ceux-là, cependant, une personnalité émerge, Paul G. Desmarais. Contrairement aux Forget, Raymond ou Lacoste d'un autre siècle, 

M. Desmarais a eu une vision de l'art qui dépassait le simple ornement de son milieu de vie; il s'est consacré à développer une conception bien particulière de l'art, et à réunir un ensemble d'oeuvres d'une exceptionnelle qualité.

L'intérêt pour la culture et l'art n'est pas en soi le seul apanage de la fortune. Il est d'abord inné. Il est avant tout cultivé dans le milieu familial: c'est en quelque sorte une affaire de famille. La mère de M. Desmarais, Lébéa Laforest, institutrice à Sudbury, était passionnée de musique. Le piano était pour elle l'occasion de partager avec ses enfants le plaisir du coeur et des sentiments.

Dès 1958, Paul G. Desmarais visite la Dominion Gallery à Montréal, galerie alors la plus réputée au pays, et achète, à tempérament puisqu'il n'avait pas assez d'argent disponible, un tableau de Paul Émile Borduas, Survivance d'Août, et une oeuvre d'Emily Carr (peintre de la côte ouest), Stumps and trees. En 1964, lorsqu'il devient actionnaire de Power Corporation du Canada, il fait acquérir par la société ses premiers tableaux, dont une grande huile de Robert Pilot, The Ice Rink, Quebec. En 1966, il fera acheter 13 autres tableaux et sculptures de peintres canadiens et Power Corporation deviendra une des premières entreprises au Canada à se doter d'une collection d'oeuvres d'art.

Devenu actionnaire majoritaire en 1968, il poursuivra personnellement le développement de cette collection avec assiduité pendant les 40 prochaines années, réussissant à en faire l'une des plus représentatives de l'art au Canada. Cette collection offre aujourd'hui un ensemble cohérent des différents mouvements artistiques au pays et demeure une source quasi inépuisable de prêts et de champs de recherche pour tous les grands musées canadiens et les historiens de l'art préoccupés à faire progresser la connaissance en arts visuels.

C'est bien là, en apparence, le paradoxe de son intérêt pour l'art: en homme d'affaires prudent, il aurait dû attendre avant d'acheter des tableaux que sa situation financière soit mieux garantie et surtout ne pas s'endetter en début de carrière pour acquérir des oeuvres d'art. Paul G. Desmarais était plutôt convaincu que la satisfaction d'une réussite en affaires doit être complétée par le plaisir durable qu'incarne la possession d'une oeuvre de qualité.

Cette habitude deviendra une tradition chez Power Corporation: un succès en entreprise est indissociable du plaisir de l'esprit. C'est ainsi que les grandes oeuvres de Jean Paul Riopelle sont venues gratifier de manière unique cette collection.

Pour M. Desmarais, la culture n'était pas que possession d'oeuvres d'art, de livres, et d'objets décoratifs, elle se doublait aussi d'une vision de la vie sociale et culturelle, d'un sens de l'éthique en affaires, d'une vision du rôle du Québec et des Canadiens français dans le Canada à réaliser et dans le monde à construire.

Il croyait fermement les Canadiens français capables d'excellence et de créativité aussi bien en affaires qu'en art ou en musique, aptes à faire du Canada un pays qui leur ressemble tout comme à jouer d'influence dans le monde pour y faire valoir leurs valeurs et leur vision.

C'est son sens inné des valeurs ouvertes sur le monde, son profond intérêt pour des civilisations différentes, ainsi que son culte de l'esprit français qui l'auront inspiré et grandement assisté pour asseoir les bases d'une contribution empreinte d'humanisme et de respect d'autrui.

Si tant est que pour être un grand homme d'affaires, il faut avant tout être un homme de grande culture.