Paul Desmarais fut l'un des plus brillants hommes d'affaires du Canada et le premier homme d'affaires canadien-français à connaître une telle notoriété au niveau national et international. Lorsqu'on a eu la chance de connaître ce personnage, on comprend mieux les raisons fondamentales de son énorme succès.

Paul Desmarais connaissait son pays et les pays étrangers, plus intimement que bien d'autres, par les individus qu'il y fréquentait. Son réseau d'amis nationaux et internationaux fut à nul autre pareil et cela dans tous les milieux: affaires, politique, culture, philanthropie. Paul ne m'en voudrait certainement pas de vous révéler ses débuts dans le réseautage, expérience de vie qu'il m'a racontée, avec beaucoup d'humour, lors d'un repas que nous partagions. Ayant décidé de quitter Sudbury pour aller étudier à l'Université d'Ottawa, son père lui dit qu'il devait profiter de son séjour dans cette ville pour se faire des contacts. Ottawa, lui avait-il dit, regorge de gens très importants. 

Arrivé à l'Université d'Ottawa, le jeune Paul réalise rapidement qu'il n'y a pas d'association d'étudiants du Parti progressiste-conservateur dans cette institution. Réunissant quelques amis, il en fonde une et en prend la présidence. Ceci fait, il téléphone au bureau de John Diefenbaker pour l'informer qu'il était le Président de l'Association des étudiants progressistes-conservateurs de l'Université d'Ottawa et qu'il souhaitait rencontrer M. Diefenbaker. Ce qui fut fait et à quelques reprises. 

Un jour, son père venant à Ottawa, l'invite au Château Laurier. Prenant l'ascenseur, ils arrivent face à face avec John Diefenbaker. Ce dernier salue alors chaleureusement le jeune Paul et dit à son père tout le bien qu'il en pensait. Le père fut littéralement estomaqué par la qualité des relations que son fils avait pu nouer en si peu de temps et à un si jeune âge. On comprend alors la suite de l'histoire de cette vie.

Le réseau de Paul Desmarais n'en était pas un d'apparat, mais un réseau d'accès à une vision intime de notre monde, des opportunités qu'il offrait, des pièges qu'il tendait. Il avait donc, en tout temps, une compréhension peu commune de l'état du monde faisant de lui un penseur stratégique dépareillé. Ce fut l'instrument premier de ses succès répétés en affaires. Il fut l'homme du réseautage bien avant le succès de l'Internet. Il fut aussi l'homme de la globalisation avant que le terme soit à la mode. Il comprit, plus rapidement que bien d'autres, les progrès exceptionnels que ferait l'Europe avec le développement de l'Union économique européenne et s'assura que son entreprise en soit parti prenante. Il en fut de même pour la Chine avant que ce pays devienne l'obsession de tous les entrepreneurs.

Ce visionnaire fut aussi en précurseur en matière de philanthropie dans le Québec francophone. Les mondes de la culture, de l'éducation et de la santé ont directement profité de sa grande générosité et indirectement de l'effet de débordement que son comportement philanthropique a eu sur la collectivité francophone. Pour avoir, comme recteur, mené la grande campagne de souscription de l'Université de Montréal en 2000, j'ai pu constater à quel point Paul Desmarais avait créé une culture nouvelle de philanthropie au sein du milieu des affaires francophone du Québec.

J'ai eu le privilège de rencontrer Paul Desmarais à plusieurs reprises et de bénéficier, je crois, de son amitié et de sa confiance. Je garde un souvenir ému de cet homme d'écoute, de ce visionnaire, de cet être simple, généreux et affectueux. Je me souviendrai toujours des premiers mots qu'il prononçait lorsqu'il me téléphonait: «Qu'est-ce que tu fais, là, Robert?»