Qu'est-ce qui explique que mon père ait conservé, jusqu'à la fin de sa vie, cet invincible goût de vivre, malgré la fibrose pulmonaire sévère dont il était atteint?

Plutôt que d'angoisser sur les symptômes propres à cette maladie, sur les pertes d'autonomie qui s'annonçaient, sur les douloureuses, mais inévitables séparations d'avec ceux qu'il aimait et sur la manière dont se déroulerait sa mort - serait-ce par suffocation, étouffement ou crise cardiaque? -, papa aura préféré miser sur les beaux moments qu'il pouvait encore s'offrir... et aussi «offrir» à sa conjointe, ses quatre enfants, ses neuf petits-enfants et ses sept arrière-petits-enfants.

Et ces moments si précieux ne seront pas survenus automatiquement. Non... Il les aura plutôt provoqués, organisés et pleinement savourés, de sorte que les deux derniers mois de sa vie auront été comme du «bonbon».

Papa, qui avait été un homme de devoir, et par conséquent un homme exigeant qui n'en laissait pas passer et qui ne mettait pas ses gants blancs pour dire le fond de sa pensée, aura laissé tomber toutes les barrières et formalités pour ne laisser place qu'à l'«amour».

Papa nous a toujours profondément aimés et il nous l'a démontré en ne lâchant jamais prise sur ce qu'il estimait juste. Mais, dans cette dernière étape de sa vie, il nous aura laissé découvrir toute la tendresse dont nous le sentions tellement capable. Plus aucun doute, jugement, insatisfaction ou même attente n'apparaissaient dans son regard devenu bienveillant.

Lui qui n'était pas particulièrement doué pour les étreintes, nous surprenait maintenant par d'affectueuses et touchantes accolades accordées, même à son fils aîné. Il s'émerveillait d'un oiseau venu se percher près de sa fenêtre et il débordait de bonheur à la vue de sa dernière arrière-petite-fille.

Il nous reste donc à te remercier, papa, de nous avoir épargné ces paroles dénonçant l'injustice, ces demandes subtiles d'en finir au plus tôt avec ta vie et ces sujets de conversation limités à la description de tes maux. Loin de t'être dérobé de ton rôle de père, tu l'auras admirablement rempli jusqu'au terme de ta vie. En d'autres mots, tu seras mort «dans la dignité». Merci papa!