Récemment, un patient connu de mon service d'oncologie et atteint d'un cancer avancé du colon se présente à l'urgence parce qu'il a de plus en plus mal au ventre. L'examen montre une occlusion partielle des intestins. «Je ne peux plus supporter ça, donnez-moi quelque chose pour en finir!» dit-il. Ça, c'est une réaction normale. Personne ne veut souffrir ni physiquement, ni moralement!

Le consultant en soins palliatifs arrive quelques instants plus tard. Il lui parle, le rassure et entreprend un traitement dans le but de le soulager. Lors de ma tournée, le lendemain, je revois le patient, toujours vivant et souriant dans son lit. Il ne parle plus de mourir. Au contraire, il me demande un traitement pour vivre plus longtemps!

Ce genre d'événement, je l'ai vécu des dizaines de fois dans ma carrière, parfois avec un patient qui réclamait la mort quelques jours, parfois quelques semaines consécutives... pour quelques mois plus tard me remercier de l'avoir accompagné et soigné.

Je pense à toutes ces personnes découragées quand elles se font annoncer que la maladie est revenue et maintenant généralisée. Des personnes qui ont peur de souffrir, peur d'être abandonnées, peur des traitements. Ça aussi, c'est une réaction normale.

Il faut voir le sourire de ces personnes lorsque l'«orage» est passé et que le calme est revenu pour comprendre de quoi il est question. Cet orage peut souvent durer plus qu'une semaine, et si la loi 52 avait été appliquée dans ces circonstances, et qu'elles avaient demandé et reçu leur injection mortelle d'un médecin, ces personnes seraient mortes prématurément, probablement au pire moment de détresse de leur existence.

Le contact avec des gens atteints de «maladie grave, avancée et irréversible», comme les désigne le projet de la ministre Hivon, c'est mon quotidien. Or quand je lis les mémoires de la Fédération des médecins spécialistes et du Collège des médecins, je ne peux que sursauter, pour ne pas dire m'étouffer, tant ce qui y est exprimé est à des années-lumière de la réalité que je vis comme clinicienne.

Ces médecins-politiciens sont en train de se relancer les uns les autres sur les bienfaits et la libération que va apporter l' «aide médicale à mourir». Ils se fichent de mon opinion, de mon expérience, comme ils se fichent de celle de la grande majorité de mes collègues en soins palliatifs. Ils ont décidé ensemble que l'euthanasie, le suicide assisté, l'aide médicale à mourir ne sont rien d'autre qu'un «continuum de soin». Pardon? Tuer quelqu'un d'un coup d'une dose mortelle serait un soin au même titre que le fait d'administrer un antibiotique, un diurétique, une chimiothérapie ou une chirurgie? Quelle erreur, pour ne pas dire quel mensonge!

Je me rends compte que ce qui est sur le point de se passer, c'est bien plus que de «permettre» des exceptions pour des cas exceptionnels. Ce que le Collège des médecins et le gouvernement proposent, c'est de changer la médecine, la loi médicale, le code de déontologie; c'est de changer ma pratique médicale!

Si je faisais quelque chose de mal dans ma pratique, j'accepterais les conséquences disciplinaires que m'imposerait le Collège. Mais si je fais quelque chose de bien, pourquoi le Collège et le gouvernement m'imposeraient-ils par force de loi le poids de cette loi meurtrière?

Ce qui est prévisible avec cette loi, pour mes patients et leur famille, c'est la souffrance supplémentaire que cette «offre de service» (l'option mort par injection) va créer. Je suis certaine que dans la pratique oncologique courante si cette option est présentée comme un soi-disant «soin» au moment où le patient est à son summum de déstabilisation personnelle, cette injection mortelle «qui règle tout» se trouvera en conflit avec les autres formes actuelles de traitement.