Le décollage gracieux et incroyablement silencieux du CS100 lundi dernier était impressionnant. Bien sûr, cet événement chargé d'émotion a été habilement récupéré par le service des relations publiques de Bombardier, transformé pour l'occasion en producteur de « télécast ».

Un vol inaugural est un outil de promotion exceptionnel et l'équipe marketing espère que cette étape créera le momentum nécessaire pour que de nouveaux acheteurs se manifestent. Compte tenu de l'ampleur des fonds publics investis dans l'aventure, nous devrions tous espérer avec elle.

Pourtant, les réactions étaient mitigées sur le tarmac lundi matin. Les reporters semblaient à la recherche de commentaires négatifs: « C'est une aventure risquée n'est-ce pas? »; « L'entreprise n'arrive-t-elle pas trop tard sur ce nouveau marché? »; « Ne s'agit-il pas d'une lubie de la famille Beaudoin? »

Oui, l'aventure est risquée. Faire des affaires signifie prendre des risques. Laurent Beaudoin avait pris un risque en 1992 en décidant de transformer un avion d'affaires en jet régional et l'histoire lui a donné raison. Pourquoi ne pas imaginer que l'histoire lui donnera à nouveau raison?

Le vol inaugural de deux heures et demie a confirmé que tout va bien pour l'instant. Sur le tarmac, le PDG de Porter, Robert Deluce, et les représentants de Swiss étaient tout sourire. Les prochains vols d'essai permettront de vraiment mettre à l'épreuve cet appareil conçu à partir d'une page blanche et dont la structure est parfaitement adaptée au nouveau moteur de Pratt & Whitney. L'avion et son moteur sont littéralement faits l'un pour l'autre, ayant été créés conjointement.

Pourquoi ne pas imaginer que l'entrée en service du CS100 et du CS300 permettra de remplir les promesses d'économies de carburant et de réduction du bruit? On ne peut nier que l'entreprise aura du pain sur la planche si elle veut parvenir à ce que le nouvel appareil soit certifié dans un délai de 12 mois. Mais ce prochain défi n'est pas impossible à relever. Le développement de produits aéronautiques se caractérise par la pression du temps. À tel point que les équipes de design ont souvent un énorme sentiment de vide en fin de programme lorsque vient le temps de passer le flambeau aux équipes d'assemblage.

Et si Bombardier réussissait à s'immiscer dans les nouveaux marchés qu'elles visent maintenant? Si elle réussissait à convaincre les grands transporteurs que la supériorité technologique de la CSeries justifie les coûts associés à l'établissement d'une relation d'affaires avec un nouveau fournisseur d'avions?

Pour ces transporteurs, intégrer le produit Bombardier à leur flotte nécessitera de nouveaux apprentissages; ils devront entre autres avoir l'assurance de la disponibilité des pièces de rechange dans le réseau de transport aérien. La valeur d'une nouvelle technologie n'est pas seulement déterminée par les caractéristiques intrinsèques de celle-ci. Il faut aussi se laisser convaincre qu'une masse critique d'utilisateurs adopteront la nouvelle technologie et que celle-ci deviendra presque un standard de facto. Une opération de séduction réussie peut créer un effet d'autorenforcement où la popularité même du produit le rend encore plus populaire.

Qu'est-ce que cela coûte de rêver que ce scénario se réalise? En fait, c'est de ne pas y croire qui pourrait coûter cher. Laisser planer le doute. Faire parvenir aux oreilles des analystes financiers le message que la CSeries est un programme voué à l'échec, destiné à un marché déjà épuisé. Qu'il sera impossible de faire face à la concurrence de l'A320Neo d'Airbus ou du 737Max de Boeing, deux vieux modèles que les nouveaux concurrents de Bombardier ont rajeunis en les équipant de moteurs moins énergivores pour contrer la menace de la CSeries.

S'il est difficile pour les plus pessimistes de croire au rêve, ils seront tout de même forcés d'admettre que la lutte à trois qui s'amorce sera passionnante!