Les accusations de racisme, «poutinesque» ou autre, lancées pêle-mêle à l'intention de la charte, du gouvernement péquiste ou du Québec, sont injustifiées. Est-il légitime, pour une démocratie moderne, d'établir une limite aux demandes d'accommodement raisonnable et à la possibilité pour les fonctionnaires d'afficher leurs convictions religieuses de façon ostentatoire, au nom de la laïcité?

Cela répondrait à une exigence de justice. Combien d'accommodements raisonnables avalisés par les tribunaux ou les commissions des droits de la personne au Canada ont-ils exigé de faire primer les demandes pour motif religieux sur le droit des femmes à l'égalité? Citons les demandes de certains, par intégrisme religieux, de ne pas être interpellés par des policières, ou de ne pas passer un examen de conduite de la SAAQ avec une examinatrice, que la Commission québécoise avait entérinées.

Jusqu'où peut-on accorder la primauté des convictions religieuses sur les simples règles communes, ou encore la sécurité d'autrui? Pensons aux jugements ailleurs au Canada permettant à des témoins de Jéhovah de refuser une transfusion sanguine pour leur jeune enfant, le condamnant à une mort certaine. Le modèle canadien accorde une place supérieure à la liberté de croyance sur les autres droits, liberté de conscience, égalité homme-femme, sécurité, etc., ce qui constitue une originalité contestable. Cela est en partie dû à l'article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés prescrivant d'interpréter les droits en fonction du multiculturalisme, autre originalité discutable.

Or le Québec, depuis l'adoption d'une politique officielle de multiculturalisme par le gouvernement fédéral en 1971 sous Pierre Trudeau, a toujours refusé d'endosser cette politique d'intégration et de gestion de la diversité. Le Québec n'a pas non plus accepté de signer la constitution de 1982 enchâssant ce principe. Depuis l'adoption de la Charte de la langue française (1977) au moins, il cherche à définir son propre modèle.

Dans le modèle canadien, le pays est défini comme une mosaïque de cultures mais, il faut le reconnaître, l'intégration opère puissamment grâce à l'influence de la culture anglo-américaine et l'importance de l'anglais pour gagner sa vie. Le Québec ne peut s'appuyer sur ces ressorts et doit veiller à l'intégration sur son territoire. Instaurer une laïcité québécoise dans une charte des valeurs ne peut qu'aider à clarifier cet enjeu d'intégration au Québec.

Contrairement à ce qu'on entend de la part des critiques du projet, le modèle du multiculturalisme canadien est loin d'être le seul modèle en vigueur parmi les démocraties occidentales. Outre la laïcité de la République française, mentionnons la critique du multiculturalisme en cours dans plusieurs pays européens qui l'avaient adopté, dont la Grande-Bretagne. Aux États-Unis, le port des signes religieux y est-il aussi facilement accepté qu'au Canada pour les fonctionnaires portant l'uniforme ou pour les enseignants? Il faut reconnaître qu'une démocratie peut légitimement choisir un modèle d'intégration différent du multiculturalisme.

Il n'est pas aberrant de reconnaître un droit du public à l'apparence de neutralité de la part des fonctionnaires le servant, y compris des éducateurs et enseignants en position d'autorité auprès des enfants. Plus largement, à quoi voulons-nous que ressemble le Québec de demain? Voulons-nous un Québec où l'intégrisme a libre cours, où des élèves peuvent demander de s'exempter de leçons de science ou de lectures sur motif d'intégrisme chrétien, musulman ou de n'importe quelle confession?

Préférons-nous un Québec où les immigrants s'intègrent à la culture québécoise et s'y identifient et où des valeurs chèrement défendues par les Québécois depuis des générations, comme la laïcisation des institutions, l'égalité homme-femme ou l'intégration à la culture francophone sont protégées? Si oui, alors il faut instaurer une laïcité québécoise.