Au Québec, beaucoup de gens ont ressenti et ressentent dans leur tête et dans leur chair l'omniprésence et la mainmise de la religion sur notre société. Depuis plus de 50 ans, des efforts constants ont été déployés pour que l'État s'affranchisse définitivement de cette mainmise de la religion.

Les nombreuses demandes d'accommodements, raisonnables ou non, au cours des dernières années ont stigmatisé une bonne partie de ceux qui prônent ce mouvement de laïcisation. Comme la majorité de mes concitoyens, je crois à une nécessaire laïcité dans notre société. Mais jusqu'où cette laïcisation doit-elle aller? Ma réponse est... je ne sais plus trop!

Je sais cependant une chose. Je ressens un immense inconfort à l'idée d'exiger à certaines personnes travaillant dans la fonction publique de retirer leurs signes religieux, alors que certaines institutions et villes auraient un droit de retrait, alors qu'au-dessus de la tête même du président de l'Assemblée nationale se trouve un crucifix, alors qu'un maire peut réciter une prière à une assemblée du conseil municipal, ou bien qu'un élu puisse afficher son signe religieux.

Pour de nombreux Québécois qui portent un signe religieux, cela leur sera difficile sinon impossible, et cela pourrait les mener sur le chemin de l'exclusion.

Je sais aussi que nos compatriotes qui ont fait le choix de venir s'établir au Québec ont, de leur côté, un cheminement à faire. Il est important de comprendre qu'il n'y a pas d'adéquation entre la volonté pour une nation de souhaiter vivre dans une société laïque et le racisme. Tout comme il n'y a pas de honte à affirmer haut et clair une valeur comme l'équité entre les hommes et les femmes.

«On balaie un escalier de haut en bas, mais c'est de bas en haut qu'on le construit.» Cette citation du chanoine Jacques Grand'Maison (tirée de son ouvrage Idées pour la suite du monde) m'inspire la réflexion suivante: que le gouvernement règle d'abord la laïcité des institutions publiques; alors seulement il pourra proposer une réflexion profonde sur le devoir ou non pour les personnes qui y travaillent (qu'il soit concierge d'une école primaire ou juge à la Cour) d'être neutres jusqu'à en retirer tout symbole religieux visible.

Monsieur le ministre Drainville, bravo pour avoir jeté les bases pour encadrer les accommodements raisonnables. Mais en ce qui concerne les signes religieux, passons le balai tout en haut dans nos propres institutions (Assemblée nationale, conseils municipaux, écoles confessionnelles subventionnées...). Je fais le pari qu'ensuite, l'ensemble des citoyens comprendront alors mieux le sens et la volonté du mouvement de notre société.

Peut-être trouverons-nous alors un espace et un moment pour réfléchir sereinement à cette «nécessité» d'exclure des signes religieux? Peut-être jugerons-nous alors dérisoire cette exclusion? Mais de cela aussi, je n'en suis pas certain.