Nombreux sont les citoyens du Québec qui partagent avec le ministre Drainville la même passion pour le Québec; un Québec qu'ils souhaitent enfin indépendant de ses choix; un Québec où la neutralité de l'État à l'égard des religions est comprise comme une condition essentielle de la vie démocratique; une société où les valeurs d'égalité des droits entre les hommes et les femmes d'ici soient non seulement partagées, mais surtout quotidiennement vécues.

Nombreux sont ceux toutefois qui ne peuvent souscrire à la démarche actuelle du gouvernement. J'en suis.

En effet, par-delà la promotion des idées et des convictions personnelles, idées et convictions qui sont à la base de leur engagement public, les hommes et les femmes politiques ont aussi un devoir de rassembler. C'est d'ailleurs ce que le ministre déclarait lui-même en présentant son projet de charte: «Le temps est venu de nous rassembler autour de règles claires et de valeurs communes qui mettront un terme aux tensions et aux malentendus.»

Or, la démarche retenue par le gouvernement ne contribue pas à rassembler les Québécois. Au contraire, elle risque d'élargir chaque jour un peu plus le fossé des perceptions erronées et des préjugés des uns et des autres; d'accentuer encore davantage le clivage entre le Québec et sa métropole; de remettre en question des années d'efforts pour une meilleure intégration des immigrants et une plus grande ouverture des Québécois de toutes les régions aux enjeux d'un monde en mutation.

Il est urgent de corriger le tir.

Avec les jours qui passent, les risques de dérapage sont bien présents. Il faut souhaiter que l'on n'assiste point à des gestes, furent-ils isolés, qui rendent encore plus difficile toute capacité et toute volonté de vivre ensemble. Le danger est bien réel, nos sociétés sont fragiles, plus qu'on ne le pense. Le gouvernement porte une lourde responsabilité à cet égard.

Dans un tel contexte, le ministre doit réaliser qu'il ne peut se contenter au cours des prochaines semaines du plan de match annoncé, soit lire les opinions des citoyens qui lui sont transmises via le site internet créé pour l'occasion. Encore moins se contenter d'observer imperturbable les divers signes d'intolérance qui se manifestent ici et là au Québec.

M. Drainville doit prendre sans délai l'initiative d'un certain rebrassage des cartes: il peut, par exemple, rencontrer les leaders religieux des diverses communautés, les élus de la région de Montréal, ou encore, visiter certains hôpitaux, des écoles pour y rencontrer les directions et les employés. Ce faisant, il donnerait des signes concrets qu'il est à l'écoute des divers courants d'opinion, et ouvert à la discussion. D'autres initiatives sont possibles, le ministre a sûrement des conseillers capables de lui en suggérer.

D'autre part, afin de désamorcer toute tentative d'exacerbation du débat, n'y aurait-il pas intérêt pour le ministre et le gouvernement de prendre acte publiquement dès maintenant de ce qui fait déjà consensus et de ce qui demeure controversé? Non seulement le débat y gagnerait-il en sérénité, mais c'est aussi tout le Québec qui pourrait en sortir grandi.