Si nous avions pour projet de construire un pont et que 90% des ingénieurs pensaient que sa conception était dangereuse, cela provoquerait l'indignation du public. Alors, pourquoi le projet de loi 52 auquel s'opposent une grande majorité des intervenants en soins palliatifs ne soulève-t-il pas la même indignation?

Le projet de loi présenté cet automne définit les soins de fin de vie par «les soins palliatifs offerts aux personnes en fin de vie, y compris la sédation palliative terminale, de même que l'aide médicale à mourir».

Proposé sans tenir compte de l'avis de la majorité des spécialistes des soins palliatifs, il redéfinit les soins palliatifs et propose des soins de fin de vie dont les objectifs sont contraires à la définition internationale des soins palliatifs. Ce projet est dangereux et sera nuisible à la prestation des soins palliatifs.

• L'Organisation mondiale de la Santé définit les soins palliatifs comme une approche qui cherche à améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles face aux conséquences d'une maladie potentiellement mortelle. Ils peuvent être fournis dès le diagnostic et incluent, sans toutefois s'y limiter, les soins de fin de vie.

• Les soins palliatifs n'accélèrent ni ne repoussent la mort. L'«aide médicale à mourir», telle qu'elle est définie dans ce projet de loi, est en réalité un acte spécifique qui consiste à mettre un terme à la vie d'une personne. Il s'agit en fait de l'euthanasie. Celle-ci est contraire aux objectifs des soins palliatifs et n'est pas de leur ressort.

• Tous les patients ont à l'heure actuelle le droit de refuser un traitement ou de s'y soustraire et peuvent obtenir une sédation palliative si leurs souffrances ne peuvent être soulagées. Cette démarche est à la fois légale et éthique. L'euthanasie, à l'inverse, n'est ni légale ni éthique dans la plupart des pays du monde. Ce projet de loi assimile deux interventions très différentes et les présente d'une manière qui les fait apparaître équivalentes.

• Il existe des recommandations internationales spécifiques concernant la sédation palliative et les critères relatifs à son usage. La sédation palliative débute lorsqu'un patient présente des symptômes réfractaires et qu'il est considéré en fin de vie. Le projet de loi 52 préconise l'établissement de rapports annuels sur le nombre de sédations palliatives terminales administrées et «d'aides médicales à mourir». Une fois de plus, cette recommandation engendre la confusion en assimilant la sédation palliative qui est actuellement légale à l'euthanasie, qui ne l'est pas. Nous craignons qu'en légiférant sur une intervention médicale qui est utile, légale et éthiquement acceptable (sédation palliative), les cliniciens risquent d'hésiter à mettre en place cette option thérapeutique cliniquement importante.

De nombreux obstacles nuisent à l'accès par de nombreux patients aux soins palliatifs - nombre insuffisant de professionnels de soins palliatifs ou de centres de soins palliatifs, insuffisance des soins à domicile et enseignement et formation inadéquats de l'ensemble des professionnels de santé. Ce projet de loi risque de dissuader encore plus les patients à réclamer des soins palliatifs de qualité. Il se pourrait même qu'il soit plus difficile de recruter des médecins désireux d'exercer la médecine palliative.

Nous recommandons vivement aux députés de l'Assemblée nationale de s'interroger sur les raisons pour lesquelles la vaste majorité des médecins, infirmières, et autres professionnels de santé intervenant dans le domaine des soins palliatifs (psychologues, travailleurs sociaux, ergothérapeutes, physiothérapeutes, nutritionnistes, musicothérapeutes), de même que les bénévoles et consultants qui prodiguent des soins aux patients gravement malades et mourants s'opposent au projet de loi 52.

Les députés devraient également rendre visite aux patients et à leurs familles recevant des soins palliatifs avant d'entraîner le Québec sur une trajectoire dangereuse qui fait peser des risques sur les plus vulnérables d'entre nous.