Chacun d'entre nous a ses raisons d'être pour ou contre une éventuelle charte des valeurs ou de la laïcité civique au Québec. Pour ma part, c'est le 10 décembre 2007 que le choc principal est venu. Il n'a rien d'identitaire. Rien de vindicatif. Rien contre la foi sincère. Il est d'abord et avant tout humanitaire. Il a été provoqué par trois événements, tous survenus cette même journée. J'en suis depuis profondément bouleversé.

Le premier évènement a été ma participation à la commission Bouchard-Taylor. J'ai été très impressionné par ces deux intellectuels de haut niveau. Pas toujours dans le bon sens cependant. Ce soir-là - et cela constitue le second événement -, quelques femmes musulmanes voilées sont venues présenter leur point de vue à la commission. 

Structurées et bien documentées, ces jeunes femmes ont ébloui les commissaires. Elles ont défendu avec aplomb le port du voile, le respect de l'époux, la charia appliquée à la famille, la bonté d'Allah, leur auto-exclusion si nécessaire. Un travail bien fait. Classique. Au point que messieurs les commissaires ont remercié mielleusement ces émissaires, de toute évidence en service commandé et bien escortées. Pour en rajouter une couche, les commissaires les ont explicitement félicitées pour la qualité de leur «féminisme» à la sauce musulmane! 

Surgit en moi alors une envie de hurler. Je revoyais tous les combats des féministes d'ici, de ma grand-mère à ma mère, 14 enfants. Puis j'ai pensé à mes huit soeurs... Je me suis tu et me suis revu quelques instants dans les années 50 en ma Gaspésie natale!

Le troisième évènement qui m'a marqué, et qui me hante toujours, c'est l'assassinat de la jeune Aqsa Parvez, tuée par son père et son frère, en complicité, à Mississauga en banlieue de Toronto, aussi ce 10 décembre 2007. Cette adolescente de 16 ans, une fois arrivée à l'école, espionnée par son frère, a commis le crime ignoble de retirer son hijab, afin d'être comme ses consoeurs de classe, de s'intégrer au groupe!

Après toutes ces années, je suis encore «obsédé» par cette jeune fille que je vois mourir aux mains de son père, cet être autoritaire inqualifiable, qui tue son enfant au nom de l'honneur du mâle, pour un voile enlevé à l'école, se cachant derrière une religion détournée et instrumentalisée.

Depuis, je me demande chaque jour si Aqsa n'aurait pas eu la vie sauve si l'Ontario avait eu une loi pour interdire les signes religieux ostentatoires à l'école. Comme cela se passe en France depuis 2005. Comme, je l'espère, cela se passera bientôt au Québec.

Puis je pense aux femmes de la famille Shafia, assassinées aussi en Ontario, pour des raisons religieuses déguisées en crime d'honneur. Depuis le début de nos débats sur cette charte, je me demande qui pourrait affirmer que cette mesure serait inutile. Surtout que nous savons tous qu'elle pourrait peut-être sauver ne serait-ce qu'une seule vie. Elle pourrait aussi contribuer à adoucir bien des souffrances chez ces jeunes filles terrorisées dans le secret des familles religieuses, patriarcales et d'une autre époque, peu importe la confession, qui se multiplient chez nous.

J'en appelle à tous nos leaders d'opinion, à tous nos politiciens: par cette charte, donnez à cette jeunesse et aux autres opprimés des croyances intégristes les droits individuels qui leur ont été confisqués depuis leur naissance.