Le gouvernement Marois mousse ces jours-ci une opération «valeurs québécoises» plus ou moins habilement associée à un combat pour la laïcité. Il tente ainsi de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Plusieurs observateurs l'ont souligné: en reprenant la recette populiste concoctée par Mario Dumont en 2007, le PQ poursuit des objectifs électoralistes et idéologiques, cherchant à mettre le PLQ et la CAQ dans l'embarras et à susciter dans le ROC une vague d'indignation susceptible de faire remonter l'option indépendantiste. Ce faisant, le PQ travestit la laïcité et utilise celle-ci comme faire-valoir.

En fait, la charte souhaitée par les ténors du PQ a bien peu à voir avec la laïcité et relève d'abord et avant tout de la mentalité d'assiégé qui afflige les nationalistes au Québec depuis des lunes.

Avant la Révolution tranquille, les nationalistes défendaient la langue française et la religion catholique contre les attaques de l'anglais, du protestantisme et du matérialisme. Désormais, ils protègent les supposées «valeurs québécoises» des assauts issus des ténèbres du Moyen-Âge qui ont pris le visage des sataniques «accommodements raisonnables».

On en est revenu à l'éternel affrontement entre «nous», le petit peuple pétri de bonnes valeurs et défendant courageusement son patrimoine, et «eux», les obscurantistes qui s'appuient sur les tenants du multiculturalisme et du cosmopolitisme, ces traîtres à la nation.

Or, la laïcité ne procède pas de cette vision manichéenne, mais d'une volonté de reléguer le fait religieux à la sphère privée. Ses défenseurs ne veulent pas raser les églises, les synagogues et les mosquées, ni empêcher les croyants de vivre leur foi et de pratiquer leurs rituels, mais ramener la pratique religieuse à sa dimension personnelle et culturelle.

En ce sens, on ne peut pas à la fois se prétendre défenseur de la laïcité et vouloir limiter le fait religieux chez les «étrangers» tout en promouvant le nôtre sous prétexte qu'il s'agit de nos traditions et de notre patrimoine. Brutalement, cette règle se traduit ainsi: on ne peut pas interdire le hijab tout en autorisant le crucifix.

Doit-on le rappeler, la promotion de la laïcité ne vise pas à anéantir le fait religieux, ce qui serait d'un grotesque donquichottisme, mais à s'assurer que l'espace civique est libre de prosélytisme, que l'État est neutre sur le plan religieux et que le vivre ensemble n'est pas pollué par les croyances des uns ou des autres.

En tant qu'athée, tous les symboles religieux, qu'ils soient discrets ou ostentatoires, me hérissent et la plupart des demandes d'accommodement raisonnable m'agacent. Cela ne m'autorise toutefois pas à empêcher les individus d'exprimer librement leur foi et à vivre celle-ci comme ils l'entendent à condition de respecter le contrat social existant dans notre société (entre autres, l'égalité hommes-femmes).

Précisons: la vue d'une femme voilée marchant dans la rue heurte mes valeurs, mais je me dois de respecter ses droits individuels, et la liberté religieuse en fait partie. Il faut en outre radicalement distinguer espace public et espace civique. En ce sens, seuls les individus occupant un poste où ils possèdent une certaine autorité sur les citoyens (policiers, juges, etc.) doivent être astreints à la neutralité vestimentaire absolue et s'abstenir de porter des symboles religieux. La proscription des signes religieux pour tous les employés de la fonction publique et dans l'espace public serait indigne d'une société libre et civilisée.

Les défenseurs de la laïcité et les athées doivent refuser de participer à cette mascarade et d'apporter leur caution à cette opération de relations publiques qui détourne le sens de leur engagement et avilit celui-ci.