Les mots qui tuent. Tel était le titre de mon premier texte publié dans La Presse, le 11 mars 2001. Une jeune fille venait d'être expulsée d'une école secondaire parce qu'elle avait décidé de mettre fin au harcèlement vécu, depuis septembre, par un groupe de jeunes de son école. Elle en était venue à hurler sa rage parce que les adultes autour d'elle n'avaient pas réagi.

Vendredi dernier dans La Presse, le texte intitulé Les mots qui tuent rapportait qu'une jeune Anglaise s'était suicidée après avoir reçu des messages haineux sur internet. Le même contexte. La même haine. Mais aujourd'hui, l'intimidation déborde de la cour d'école. C'est le monde entier, par le cyberespace, qui en est témoin. Cette mort tragique n'est pas sans rappeler celle de Marjorie Raymond, qui avait, elle aussi, été victime d'intimidation à répétition.

L'amour est cent fois meilleur que la haine. Jack Layton nous l'a dit et écrit dans son ultime et dernier adieu. Le plus charismatique des chefs du NPD souhaitait changer le monde. Cet homme profondément humain aurait aimé vivre dans un monde meilleur. Mais même si nous en connaissons les éléments (amour, espoir, optimisme), pourquoi n'y arrivons-nous pas?

À l'école, comme au travail, sur la route, et de plus en plus souvent sur le web et dans les médias, de moins en moins sociaux, se produisent des incidents violents, désobligeants, haineux. Jour après jour. Partout dans le monde. Des crimes contre une personne ou un groupe d'individus. Le harcèlement prend des proportions endémiques. Le web, capable du meilleur comme du pire, s'attaque aux plus faibles. Mais personne ne serait à l'abri. Changer d'école ou d'emploi, et votre vie peut basculer du jour au lendemain.

Tout comme Jack Layton, j'aurais aimé que «les choses» changent plus vite. Douze ans après mon premier texte d'opinion sur le sujet, force est de constater que loin de s'améliorer, le harcèlement prend des proportions encore plus grandes.

Le Canada fait piètre figure en ce qui concerne l'intimidation et le harcèlement, selon l'Institut de recherche en santé du Canada. Au moins un adolescent sur trois raconte avoir déjà été victime d'intimidation à l'école. Selon un rapport de l'UNICEF, les petits Canadiens se classent au 21e rang sur 29 pays pour le nombre de jeunes (35%) à avoir eu recours à l'intimidation dans la dernière année.

À ce jour, plus d'une centaine de programmes existent pour contrer l'intimidation à l'école. Un projet de loi a même été adopté en juin 2012 par l'Assemblée nationale du Québec. Des campagnes, des semaines de sensibilisation, des conférences. Certains jeunes m'ont même avoué être «tanné d'en entendre parler». Le projet loi 56 a-t-il changé quelque chose dans la réalité de nos écoles?

Malheureusement, je ne crois pas. Pas encore. C'est sûr qu'il faut du temps pour changer nos comportements. Y a-t-il de l'espoir? J'aimerais répondre que oui, mais quand je vois et constate l'attitude de ceux qui sont censés protéger, enseigner, intervenir, auprès de nos jeunes, je perds, un peu, confiance.

Pourrait-on dire que l'intimidation n'est pas propre aux élèves? Que le problème existe ailleurs dans la société et qu'il est bien ancré? À quand un projet de loi pour protéger les 40% de travailleurs canadiens qui font l'objet d'intimidation semaine après semaine?

Ce n'est pas banal tout ça. C'est bien plus que le pourcentage d'élèves rejetés à l'école. Cela veut dire que le harcèlement commence, peut-être à l'école, mais qu'il ne finit pas là. Bien au contraire. Il se perpétue et se continue à la maison, au travail, sur la route et dans les médias. Que nos enfants nous imitent. Qu'ils reproduisent, hélas, toutes les incivilités dont ils sont témoins. Ces micro-violences quotidiennes répétées ne passent pas inaperçues. Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais, n'est pas un modèle éducatif à privilégier.