M. Pratte, votre charge contre les écologistes mérite réplique et idéalement un début de discussion. Dans le débat sur le projet de l'oléoduc Énergie Est, vous ne pouvez éjecter avec désinvolture un pan important de la société québécoise sous prétexte que celui-ci ne partage pas votre point de vue ni ne réfléchit dans les mêmes termes que vous.

L'annonce de la semaine dernière par TransCanada a suscité un grand nombre de réactions. Vous avez fait connaître la vôtre, en jugeant le projet d'oléoduc «bon pour le Québec». Vous écrivez que les «écologistes ne sont pas contre l'oléoduc, ils sont contre le pétrole». Jugeant cette position «extrême», vous recadrez Énergie Est comme un projet de développement économique contribuant à la prospérité collective et dont les impacts environnementaux doivent être minimisés. Vous déclarez que ce projet ne saurait être jugé que sur ces seules bases.

Autrement dit, vous traitez Énergie Est comme un gros projet industriel, comme le serait une aluminerie ou une usine de boulettes de fer. Vous n'avez que faire d'une objection de principe quant à la nature du projet, à sa finalité et à ses impacts globaux, même si Énergie Est contribuera à rendre possible l'augmentation de la production de pétrole bitumineux et des GES qu'elle génère.

En rejetant du revers de la main la position de fond des milieux environnementaux sur la question du pétrole et de ses impacts sur le climat, vous niez à l'avance toute pertinence aux propos qu'ils pourraient tenir dans les débats qui s'amorcent. Et pourtant, ces propos sont repris à travers le monde par un mouvement toujours croissant formé d'une partie des opinions publiques, de scientifiques, d'intellectuels, d'institutions et de gouvernements. Ça fait de plus en plus de monde à cette «extrémité» du débat.

Le consensus scientifique sur la question des changements climatiques nous indique que si nous ne diminuons pas drastiquement nos émissions, nous déstabiliserons dangereusement le climat terrestre, entraînant des conséquences irrémédiables sur les écosystèmes et sur les équilibres physiques et chimiques dont dépend la vie sur Terre.

Une première posture mentale consiste à rejeter ce consensus, soit en invoquant un grand canular perpétré par les élites scientifiques mondiales, soit en considérant que tout ce beau monde se trompe. Il s'agit d'une posture plus associée à la droite radicale américaine et à leurs affiliés, ici comme ailleurs.

Une deuxième posture repose sur l'acceptation du consensus scientifique et sur l'impératif de se gouverner en conséquence. C'est la posture de ceux qui considèrent - tout comme l'Agence internationale de l'énergie - que les carburants fossiles sont la source première des émissions de GES et qu'une bonne partie des réserves d'hydrocarbures doit rester sous terre pour limiter les conséquences des changements climatiques.

Un nombre croissant considère ainsi les changements climatiques comme un «problème réel et grave», que «l'humanité doit s'éloigner le plus rapidement possible des énergies polluantes», et que cela ne relève pas «de l'idéologie, mais du simple bon sens». Bien dit. D'ailleurs la citation est de vous.

La troisième posture consiste à accepter le consensus scientifique, mais (1) soit de ne pas s'en préoccuper ou (2) soit de considérer que d'autres objectifs doivent avoir préséance sur les réductions d'émissions de GES. Il semble que ce soit ici votre position.

Dans le dossier du projet Énergie Est, vous faites manifestement passer la «prospérité du Québec» (comme si celle-ci dépendait de projets d'oléoducs), la création d'emplois (quelques milliers en période de construction, peut-être quelques centaines par la suite) et une augmentation de la péréquation (possiblement importante) devant l'objectif de contribuer aux efforts mondiaux de sauvegarder la stabilité du climat.

Vous avez fait valoir votre point de vue. Permettez maintenant aux autres de faire valoir le leur. Et que le débat s'engage.