Il y a 17 ans, je vivais mon Lac-Mégantic. Un matin du mois d'août, mon mari, dépressif depuis quelques années, est parti donner un cours d'été à un élève. Deux heures plus tard, un policier sonnait à ma porte pour m'apprendre qu'on venait de trouver son corps dans la rivière.

La semaine suivante, une photo a paru dans le journal local: on devinait un corps étendu sur la berge. J'ai reconnu la chemise qu'il portait ce jour-là.

Pour le commun des lecteurs, cette photo et sa légende, qui avaient eu la délicatesse de ne pas identifier la victime, étaient un fait divers, un suicide qui s'ajoutait à une liste que les années 90 ont connue trop longue. C'était loin de la marque de sympathie témoignée par la presse et les réseaux sociaux aux citoyens de Lac-Mégantic depuis cette catastrophe du 6 juillet.

J'ai toujours été un peu envieuse de la vague de sympathie qui déferle sur les endeuillés des grandes catastrophes. Ce n'est pas un beau sentiment, je le sais. Mais je ne peux réprimer le souvenir de cette solitude qui s'est abattue sur mes enfants et moi, une fois les funérailles et les condoléances d'usage terminées. Bien sûr, je sentais que mes proches étaient eux aussi ébranlés, mais il nous était difficile d'en parler. Le suicide était et reste encore un geste entouré de secret et de malaise.

La souffrance des endeuillés, on la comprend, mais on ne veut pas qu'elle perturbe nos vacances, nos projets, nos activités, bref, tout ce qui remplit nos journées du matin au soir. Et c'est peut-être bien ainsi, car il faut que la vie prenne le dessus sur la mort. Mais la solitude et la douleur pèsent lourd dans le coeur de tout endeuillé qui doit se lever le matin et continuer de vivre au milieu de l'agitation du quotidien. On a tendance à l'oublier.

Aussi, comme tous les Québécois, je compatis de tout coeur avec les gens de Lac-Mégantic qui ont grand besoin de réconfort, mais je sais aussi la douleur vécue par tous ceux qui perdent un proche et qui vivent leur deuil dans l'anonymat.

Merci, M. Pratte, d'avoir eu une pensée pour tous ces gens qui vivent leur Lac-Mégantic sans qu'on en fasse mention dans les journaux.