Il faut analyser la décision du Tribunal de la concurrence canadien sur les frais des cartes de crédit en tenant compte du Code de conduite destiné à l'industrie canadienne des cartes de crédit et de débit et du règlement d'un recours collectif aux États-Unis le printemps dernier.

L'emploi d'une carte de crédit pour réaliser un achat comporte des frais variant d'environ 1% à 3% du prix de vente pour les marchands, selon le type de carte utilisé. Par exemple, pour une carte de crédit à privilèges assortie de frais de 3%, le marchand ne reçoit que 388$ pour un achat de 400$. En comparaison, un achat de 400$ réalisé au moyen d'une carte de débit au Canada ne comporte que des frais de 0,12$ pour le marchand. Évidemment, le marchand touche en entier les 400$ pour le même achat en espèces.

Les pratiques des réseaux de cartes de crédit sont demeurées non réglementées au Canada depuis l'apparition de ce moyen de paiement à la fin des années 50 jusqu'à l'adoption du Code de conduite. Les règles imposées par les réseaux prévoyaient que les marchands ne pouvaient ni offrir de rabais ni augmenter ses prix pour refléter l'emploi d'une carte de crédit par rapport à une autre carte du même réseau ou d'un autre moyen de paiement.

Le Code de conduite est le fruit de consultations menées par le gouvernement fédéral auprès de toutes les parties intéressées en 2008 et 2009. Les marchands réclamaient le droit de varier les prix (à la hausse ou à la baisse) pour refléter les coûts pour eux de l'emploi de cartes de paiement.

Le Code de conduite a été adopté par tous les réseaux de cartes en 2010 de façon volontaire. L'article 5 stipule que «les règles des réseaux de cartes de paiement permettront aux commerçants d'accorder des rabais pour différents modes de paiement (par ex. en espèces, par carte de débit, par carte de crédit). Les commerçants auront aussi la possibilité d'offrir des rabais différents selon les réseaux de cartes de paiement».

Le Code de conduite n'a toutefois pas accordé aux marchands le droit d'augmenter les prix. C'est ce dernier droit que les marchands réclamaient devant le Tribunal de la concurrence, qui n'a pas jugé que l'interdiction de surcharger contrevenait aux lois sur la concurrence au Canada.

Quel usage les marchands font-ils du droit qu'ils ont d'accorder des rabais selon le moyen de paiement utilisé? Quel marchand offre un rabais de 2% ou 3% au consommateur qui paie avec une carte de débit ou comptant plutôt qu'avec une carte de crédit? Pourquoi les marchands n'utilisent-ils pas cet outil que le Code de conduite met à leur disposition?

Dans le cadre du règlement récent du Antitrust Litigation aux États-Unis, les réseaux de cartes de crédit - les mêmes réseaux qui contestaient la démarche entreprise devant le Tribunal de la concurrence au Canada - ont offert de modifier leurs règles pour permettre aux marchands, à certaines conditions, d'augmenter les prix pour refléter le coût plus élevé des cartes de crédit. Comment ces mêmes réseaux acceptent-ils une pratique par les marchands aux États-Unis sans permettre la même pratique - souvent par les mêmes marchands - au Canada?

Les consommateurs et les marchands paient chacun des coûts reliés à l'utilisation des cartes de crédit et ils en retirent aussi un bénéfice. En l'absence du droit de varier les prix, les consommateurs qui utilisent des moyens de paiement coûtant moins cher aux marchands subventionnent l'emploi de moyens de paiement plus onéreux par d'autres consommateurs. 

Le Code de conduite reconnaît - mais seulement en partie - qu'il est plus équitable que les consommateurs utilisant des moyens de paiement plus dispendieux supportent le coût plus élevé du moyen de paiement qu'ils choisissent eux-mêmes d'utiliser. Le ministre Flaherty va-t-il réviser le compromis qu'il a lui-même proposé à l'industrie il y a trois ans?