Imaginez le pire, multipliez par deux ou trois parce qu'il y a le drame que nous voyons, celui que nous imaginons et celui que nous vivons dans le secret de nos entrailles, tiraillés entre le déni, la peine et la colère; entre la compassion, la culpabilité et la tentation de l'effondrement.

La douleur, comme l'araignée, tisse sa toile afin de piéger toutes nos idées noires pour s'en nourrir. Tapie au fond de l'oeil, elle nous regarde regarder la fin du monde: la catastrophe et les jours heureux où le bonheur se vivait dans l'insouciance légère du quotidien.

Ouvrez cette porte où je pleure.

La nuit s'infiltre dans mon âme

Où vient de s'éteindre l'espoir,

Et tant ressemble au vent ma plainte

Que les chiens n'ont pas aboyé. 

Jean-Aubert Loranger, Les Atmosphères

***

Sur le parvis de l'église, nous avons échangé nos petites joies et nos lourdes peines trop longtemps contenues. Méfions-nous de l'apparente sérénité, des rires qui se veulent rassurants et surtout des longs silences résignés. Plongés dans la douleur, il arrive que nous retenions notre souffle dans la crainte de nous y noyer. Le contraire est aussi possible: nous tâchons de sourire et nous parlons d'abondance pour étouffer le cri qui monte parce que nous savons qu'il brûlera l'espoir.

Nous aurions bien besoin d'un minimum de recueillement, mais l'étourdissant bruit médiatique, Facebook, les textos, les caméras et micros placés sous notre nez cherchent l'émotion, quitte, parfois, à la mettre en scène. Nous errons comme des âmes en peine, déconnectés de notre souffrance. Combien de temps encore avant l'implosion du coeur, avant le moment d'après?

Les évacués et sinistrés qui ont vécu l'invasion médiatique et la promiscuité des dortoirs le savent d'expérience. Le bonheur est fait de petites choses et d'habitudes: de l'odeur du café, du journal sur la table, d'une cuvette propre et fraîche, du ronronnement du frigo, d'un collet de mousse sur la bière et de rencontres fortuites au bureau de poste, à l'épicerie ou à la pharmacie. Certains se seraient surpris à rêver à la tondeuse importune du voisin, tôt le dimanche matin, ou à la musique tonitruante des ados d'en face. Bref, à la vie d'avant. C'est bête: le bonheur, comme la santé, se réalise une fois perdu.

Une grand-mère à sa petite-fille, le jour de son mariage: «Écoute bien les cloches. Elles sonnent trois fois pour toi dans ta vie. À ta naissance où tu n'en prends pas conscience ni n'en gardes le souvenir, à tes funérailles où tu ne peux entendre la peine qu'elles se donnent et à ton mariage.»

Après les funérailles, souhaitons-nous le double mariage de la raison et de l'amour. Souhaitons-nous de dépasser le contrat écrit du partage des biens afin d'oser l'alliance du coeur, les yeux dans les yeux. Surtout, n'oublions pas que le verbe AIMER se conjugue au passé, au présent et au futur