Depuis plusieurs jours, des milliers de Turcs manifestent dans différentes villes du pays pour critiquer de façon pacifique le gouvernement de l'AKP et le premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Sous le regard du monde entier, la police a intensifié la violence en faisant usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau, sans faire de différence entre les manifestants pacifiques et les autres.

La semaine dernière, la police a brutalisé mon frère et ses amis, les obligeant à signer de fausses déclarations selon lesquelles ils s'étaient attaqués à la police et non le contraire.

Comme pour la plupart des manifestants, c'était la première fois que ces étudiants universitaires exprimaient des revendications politiques, mais ils ont été dispersés avec brutalité. Mon frère tente encore de donner un sens à ce qui s'est produit: «La police n'établit aucune distinction entre l'État et le gouvernement. Ils ne comprennent pas que nous protestons contre le pouvoir autoritaire du gouvernement.»

Ces manifestations peuvent sembler inattendues, mais elles sont le résultat du style de gouvernement dirigé par Erdogan ces dernières années, rappelant celui des dictateurs déchus du Moyen-Orient.

Le gouvernement majoritaire de l'AKP (Parti de la justice et du développement) qui règne depuis une décennie a apporté la stabilité économique et une certaine forme d'influence internationale à la Turquie, mais il a également fait preuve d'indifférence à l'égard des exigences de la population.

Pendant cette période, les critiques de l'AKP et d'Erdogan, qui proviennent de groupes aussi diversifiés que des étudiants, des représentants de l'armée et des journalistes, étaient réduits au silence et emprisonnés. Erdogan adoptait un discours irrité, haineux et sexiste contre toute personne qu'il estimait différente. Les citoyens se sentaient totalement ignorés par les décisions qui concernaient leurs vies.

Le mouvement actuel n'est pas un printemps arabe. Il ressemble davantage au mouvement des indignés (Occupy), où différents groupes se réunissent, renoncent à leurs positions immobilistes et exigent plus qu'une démocratie représentative. Les groupes qui occupent les places publiques, en plus de gagner une importante visibilité dans les médias, envoient un message solide à Erdogan: l'opposition est forte. Ils exigent une reconnaissance, des excuses et une modification de son discours de délégitimisation.

Les déclarations du premier ministre sur Twitter ressemblent à de mauvaises blagues. Ainsi, dans un de ces messages, il déclare: «Tout ce que souhaite cette nation, nous le ferons», exigeant que les manifestants mettent fin à leurs actions sans quoi, poursuit-il, «nous leur répondrons dans la langue qu'ils comprennent». Erdogan utilise la menace du recours à la force, bien établie dans la culture politique turque. Il incite à la colère et à la haine entre les partisans de l'APK «sensibles sur le plan religieux» et les manifestants, laïques pour la plupart.

Selon les témoignages des manifestants sur les réseaux sociaux, la police ne lance pas ses attaques sur les places publiques où se trouvent les médias internationaux, mais dans des secteurs moins fréquentés. Mon frère a été battu à Beylikduzu, en banlieue d'Istanbul. Il souffre d'une blessure ligamentaire et musculaire et se prépare à déposer une plainte au criminel.

Cette crise politique pourra seulement être surmontée par des excuses officielles, non pas par la répression. Malheureusement, l'appel à des rassemblements progouvernementaux lancé par Erdogan à ses partisans ne fera qu'exacerber les divisions au sein de la société turque.