Le fameux jeu de l'aiguille. J'ai 6 ans. Une de mes cousines me fait le jeu de l'aiguille, elle ne bouge pas, pas d'un poil! « Tu n'auras pas d'enfant! » m'annonce-t-elle de but en blanc. Je suis estomaquée, peinée. Pourquoi moi?

Ma tante, la plus jeune d'entre elles, reprend le jeu de l'aiguille. Elle daigne bouger, enfin!

« Tu auras 2 garçons et une fille » me console-t-elle.

Soulagée, oui, d'être comme les autres, comme ma mère. Je serai, moi aussi, une maman!

Au début de ma jeune vie d'adulte, j'ai un conjoint. Mais, je sais pertinemment bien, que je n'aurai jamais d'enfant avec lui. Alors, à la suite de problèmes de contraceptifs, j'ai dû, pendant une certaine période, utiliser des condoms. J'ai d'ailleurs découvert au cours de ma vie que je suis condamné à des mésaventures avec lesdits condoms.

Ce qui devait arriver, arriva : le condom, explosa. Et, en plein dans ma période d'ovulation. Je panique.

Mon conjoint de l'époque me dit : « Ce n'est pas grave! Si tu es enceinte, on va le garder le bébé! » Ma réponse fut vive et, méchante. Vraiment méchante. « Il est hors de question que je tombe enceinte de toi, je ne veux pas d'enfant avec toi et de toute façon, tu n'as pas un mot à dire, c'est mon corps et JE décide! »

J'ai donc entrepris les démarches pour éviter qu'un bébé soit bel et bien conçu.

Je suis allée à l'urgence pour savoir ce que je devais faire. C'était un dimanche matin.

La préposée à l'accueil me demande âprement, sans un bonjour : « Accident ou maladie? »

Je réfléchis une fraction de seconde à ma réponse. « Pour l'instant, c'est un accident, mais dans neuf mois, ce sera une maladie à vie.» Sur le coup, je me trouvais drôle. Pas elle.

Je lui explique la situation et elle me répond vivement et sèchement que je devais me présenter au planning et non à l'urgence, tout en me regardant comme si j'étais une demeurée.

Je dois attendre au lendemain, le planning est fermé le dimanche. Je rencontre une infirmière empathique qui écoute mon histoire. Elle me pose plusieurs questions afin de s'assurer que je veux bel et bien empêcher cette hypothétique grossesse. Elle me donne alors, des pilules à prendre et m'avertit que je serai peut-être malade. J'ai vomi ma vie cette journée-là. Malgré tout, j'ai dû attendre deux semaines avant de savoir. Une attente stressante et je dois avouer que, c'était la première fois que j'étais aussi heureuse de voir des menstruations.

Tout le long de ma vingtaine, j'ai traversé la maladie et une période de célibat de cinq longues années. Quand j'ai eu un nouveau conjoint, j'espérais bien que nous puissions avoir des enfants. Mais, la vie apportant son lot de douleurs et de maladie, nous n'avons pas pu réaliser ce souhait.

Après ma séparation, j'avais 42 ans. Seule. Trop vieille. Donc, ligaturée.

J'ai eu de grandes réflexions avant l'opération. J'ai pesé les pour et les contres. Vous comprendrez que les pour ont gagné. Pour la ligature. Une génétique affectée, une nouvelle maladie imposée à mes gênes par une compagnie pharmaceutique, mon célibat, historique médical peu reluisant; j'ai eu peur de transmettre cette génétique à un enfant innocent. Pendant ces observations, j'ai omis le côté émotionnel.

Pendant au moins un an, j'ai vécu des crises concernant la maternité. Je me consolais avec mes explications cartésiennes mais, au fond de moi, une émotion vive explosait. J'aurais voulu avoir un enfant. J'aurais aimé être enceinte, j'ai même mis un oreiller dans un grand chandail pour voir ô combien j'aurais été belle. J'avoue que je sauterais l'étape de l'accouchement, je suis faite en mousse de combine. Mais sérieusement, j'aurais aimé avoir un bébé, moi aussi.

Je me suis rappelé du test de l'aiguille. Ma cousine avait raison, je n'ai pas eu d'enfant. Ma tante, a peut-être juste voulu atténuer la peine qu'elle voyait dans mon regard, en trichant un peu avec le fil de l'aiguille. Je le sais maintenant, je suis aussi une tante. Et quand la vérité est cruellement blessante, j'ai tendance à adoucir les coins, un peu.

J'ai beaucoup travaillé les émotions en rapport avec la maternité. Je me croyais guérie. Mais, non! Pas à 100 %.

Parfois, les gens me disent : « Tu es chanceuse de ne pas avoir d'enfant, tu peux faire ce que tu veux! » Oui, ils ont raison, mais pas sur toute la ligne.

Parfois, je me sens seule. Vide. Mes yeux se remplissent de larmes, ma gorge se serre si fort que j'ai peine à respirer.

Je peux être maman par procuration, je sais. Mais, il y aura toujours ce petit vide à l'intérieur de ma poitrine, au fin fond de mon coeur, qui réservait sa place pour l'amour d'un enfant.

Ce petit vide qui saigne quand je vois de si belles choses écrites pour les mamans.

Comme si, il attendait encore, d'être comblé.