Dans son éditorial, André Pratte m'accuse de tirer des conclusions démesurées à partir des informations que j'ai découvertes dans les archives du rapatriement constitutionnel. Son argumentation pose problème et je l'invite à relire mon livre attentivement.

D'abord, M. Pratte me reproche d'utiliser le concept de coup d'État pour décrire ce qui s'est passé. Malheureusement, il oublie de mentionner que cette expression n'est pas la mienne, mais celle du haut commissaire britannique John Ford qui, le 30 avril 1981, envoie une dépêche confidentielle à Londres où il utilise cette expression en français dans le texte pour décrire l'ensemble de l'opération que mène Pierre Trudeau. Son analyse est très bien reçue par ses supérieurs dans la capitale britannique, notamment au niveau ministériel.

À ce stade de l'histoire, John Ford a été en contact directement avec le juge Willard Estey et une source fédérale non identifiée lui a transmis des informations en provenance du juge en chef Bora Laskin. Le haut commissaire est donc au coeur du drame qui est en train de se jouer.

M. Pratte, qui minimise l'importance des contacts entre Bora Laskin et le greffier du conseil privé Michael Pitfield, omet également de parler de la rencontre cruciale qui a lieu le 1er juillet 1981 entre Bora Laskin et le procureur général britannique Michael Havers. En ce qui a trait à la constitution, le gouvernement du Royaume-Uni est encore le gouvernement impérial et représente donc la branche suprême du pouvoir exécutif. À cette date, la première ministre Margaret Thatcher a confié à Havers le rôle crucial de piloter la résolution constitutionnelle à la Chambre des communes britannique. Voilà pourquoi Laskin veut lui parler. Il l'informe alors qu'il y a un profond désaccord au sein de la Cour suprême et que celle-ci tardera à rendre sa décision. Margaret Thatcher, qui veut aider Trudeau, fait alors face à une révolte de ses députés contre le projet de charte. Informée par les indiscrétions de Laskin en mars 1981, elle comptait sur un jugement rapide de la Cour suprême et clairement favorable à Ottawa. À partir de juillet 1981, elle sait que ce scénario n'est plus dans les cartes.

Contrairement à ce que plusieurs analystes ont dit du jugement de la Cour suprême de septembre 1981, il ne constitue nullement une défaite totale de Pierre Trudeau. Le jugement l'a forcé à faire des concessions, mais lui aussi donné une munition capitale: la fin du consentement unanime des provinces pour modifier la constitution. Sans cet as dans son jeu, il n'aurait jamais pu isoler le Québec et le Manitoba.

J'ai passé presque huit ans de ma vie à examiner des milliers de documents, en particulier les dossiers secrets du Foreign Office dont la crédibilité et l'authenticité sont inattaquables. Je suis aussi le seul chercheur à avoir travaillé sur le rapatriement à l'aide d'archives. Or André Pratte m'accuse de réécrire l'histoire. Je plaide non coupable. Ceux qui travaillent avec les archives écrivent l'histoire, ceux qui ne les ont pas consultées la réécrivent.