Connaissez-vous Corneille? Pas Pierre Corneille, le grand poête du XVIIe siècle Non, Corneille, le centurion.

L'histoire se passe en 39 après J.-C.. C'est celle de Cornelius, un centurion romain que les hasards de la carrière militaire ont conduit dans une ville du Proche-Orient appelée Césarée. Là, il rencontre un pêcheur nommé Simon-Pierre et, contre toute attente, le centurion demande à entrer dans la communauté des chrétiens. Problème: jusqu'à présent, seuls les Juifs convertis peuvent en faire partie. C'est alors que se produit l'une des plus grandes révolutions de l'histoire: Pierre décide de baptiser, pour la première fois, un païen. Et quel païen! Un centurion de l'armée romaine!

De cet homme, Cornelius, nous ne savons rien d'autre. Mais il incarne à lui seul un monde extrêmement divers et déjà globalisé, l'Empire romain, où les chrétiens sont une petite minorité convaincue et contestée. Deux mille ans plus tard, l'Église est revenue à son point de départ: elle est une minorité contestée et convaincue, au coeur d'une mondialisation païenne.

Et François dans tout ça? Il papa Bergoglio, lointain successeur de Simon-Pierre à Rome, doit se demander: qui est le Corneille du XXIe siècle? Peut-être est-il né en Chine ou en Belgique; peut-être étudiera-t-il à Paris ou à Montréal et fera-t-il carrière en Californie ou au Kenya. Quelle parole l'évêque de Rome doit-il adresser à cet homme? Qu'a-t-il à lui dire? Et comment lui dire? Tel est l'enjeu du pontificat.

En entendant annoncer urbi et orbi, dans la langue de Cicéron, le nom du cardinal Bergoglio, l'historien n'a pu s'empêcher de penser qu'on avait enfin retrouvé la trace du vieux centurion Corneille. Elle était bien perdue sous le règne du duo Ratzinger-Bertone, empêtré dans des conflits italo-italiens où les cardinaux réglaient leur compte à coup de fuites dans la presse.

Savez-vous l'un des enjeux des violentes querelles de ces derniers mois: le Vatican devait-il investir plusieurs millions d'euros dans un hôpital catholique de Milan? Mais qu'est-ce que le catholique philippin, le curé congolais ou l'évêque canadien a à faire du sort d'un hôpital milanais?

Depuis la renonciation de Benoît XVI, la planète n'a parlé que des problèmes de la Curie. Les cardinaux, venus des cinq continents, ont pris la mesure de la situation en débarquant à Rome. L'élection de Bergoglio a été leur réponse. Lumineuse. On s'attendait à un pape italien, impliqué dans les querelles curiales, et voici un Latino-Américain, extérieur à la Curie. On s'attendait à un administrateur, et voici un spirituel sorti d'une banlieue de Buenos Aires.

La papauté est la plus ancienne institution mondialisée. Elle doit être pleinement à l'aise dans la mondialisation. Se libérer du carcan des enjeux nationaux. Assumer enfin son identité mondiale. L'idée nationale a deux siècles, l'idée romaine deux millénaires.

Ce nouveau pape est à même de réconcilier romanité et mondialité.