Habemus papam! Celui qui était connu sous le nom du cardinal Jorge Mario Bergoglio aura le défi titanesque de chausser non seulement les «souliers de saint Pierre», mais également les sandales du saint le plus aimé du catholicisme, chez les croyants comme chez les non-croyants: François d'Assise, l'homme qui prêchait l'amour de Dieu aux oiseaux.

Beaucoup attendaient un gestionnaire vigoureux; les cardinaux ont plutôt jeté leur dévolu sur un homme âgé et avant tout spirituel. S'ils ont osé le faire, c'est sans doute que le cardinal Bergoglio, en vertu de sa simplicité même, fut jugé capable de faire l'unité autour de lui.

À cet égard, la filiation avec saint François d'Assise renferme une force symbolique considérable. L'Église est accusée d'être trop loin des pauvres? En son nom et son style de vie (un archevêque qui prend l'autobus!), le pape François raccorde le versant hiérarchique de l'Église avec sa base de fidèles.

L'Église est trop européenne? L'ex-cardinal, né en Argentine, mais de père italien, représente à la fois le Vieux continent et l'Amérique du Sud en pleine émergence. Son identité complexe rejoint celle du Poverello, Italien à qui l'on a donné le nom de François, c'est-à-dire «le Français».

L'Église est jargonneuse et n'arrive plus à se faire comprendre? Le nouveau pontife suit les traces d'un saint qui a utilisé un langage universel, la beauté de la création, pour parler de Dieu.

L'Église doit mieux protéger ses millions de fidèles persécutés dans certaines contrées musulmanes? Tout comme saint François qui eut l'audace d'aller discuter avec le sultan Al-Kamel en pleine croisade, le Saint-Père n'a pas manqué de courage politique dans ses anciennes fonctions, et il détient une solide expérience du dialogue interreligieux.

L'Église s'écroule en Occident? Le Seigneur lui-même avait demandé à saint François d'Assise de «rebâtir son Église».

Mais par ailleurs, le pape François apportera-t-il d'importants changements doctrinaux? Question un peu naïve: le pape ne peut guère se lever le matin et décider unilatéralement de renverser des positions élaborées par des siècles de réflexion sur la révélation divine. Le pape n'est pas l'auteur de la doctrine, et encore moins de la foi; il en est le premier gardien et le premier interprète. Le premier, mais pas le seul.

En ce sens, ce qu'on peut légitimement souhaiter, c'est que François fasse preuve d'un leadership s'exerçant en vue de l'unité. Mais unité ne signifie pas uniformité: un leadership authentiquement chrétien devrait s'exercer dans la collégialité, l'accueil des idées et initiatives émergeant du terrain concret de la vie chrétienne. Dans les Actes des Apôtres, saint Pierre ne gouverne pas sans consulter non seulement les autres apôtres, mais la communauté chrétienne entière.

Pour y arriver, il devra d'abord réorganiser une Curie dernièrement inefficace, italienne et cléricale à l'excès, et encore trop hermétique au génie féminin, malgré de réels progrès sous Benoît XVI.

Hans Urs von Balthasar, théologien à la mode au Vatican et ancien jésuite comme le nouveau pape, disait que «la vérité est symphonique». Autrement dit, la fidélité à la vérité révélée en Jésus-Christ n'est pas menacée par la prise en compte de la diversité des points de vue; au contraire, cette diversité est la condition sine qua non du respect de la richesse infinie du mystère de Dieu.

Sans tomber dans l'optimisme niais, j'estime qu'il est permis d'espérer que cela soit entendu et que le pape François, soucieux d'harmoniser l'apport de chaque homme et femme, de chaque courant de spiritualité dans l'Église, se révèle un pape chef d'orchestre.