La chose est maintenant connue, le gouvernement du Québec s'apprête à déposer au printemps sa nouvelle politique agroalimentaire. Selon toute vraisemblance, le coeur de cette politique battra au rythme des principes de souveraineté alimentaire selon lesquels les Québécois doivent demeurer propriétaires de leurs terres et augmenter la quantité de produits québécois dans leur panier d'épicerie.

La cause est noble et plusieurs d'entre nous seront d'accord pour endosser ce discours qui s'enracine de plus en plus au sein de notre collectivité depuis presque deux décennies. Mais comment le gouvernement doit-il s'y prendre pour que ce discours s'articule concrètement en termes d'impact économique et d'effets réels d'envergures pour que notre industrie agroalimentaire atteigne enfin le rythme de croissance auquel elle a droit de rêver ?

Tout d'abord, deux événements politiques dont on a peu entendu parler viennent favoriser le contexte de mise en place d'actions concrètes et exemplaires au Québec et en Ontario, les enjeux de ce secteur économique important étant similaires pour les deux provinces.

En septembre dernier, le ministre de l'Agriculture, François Gendron, a été nommé vice-premier ministre au Québec, et plus récemment en Ontario, Kathleen Wynne, première ministre élue, a pris les cordons du ministère de l'agriculture ontarienne. Cela semble enfin refléter une volonté réelle de nos acteurs politiques de prendre la mesure du sérieux de la destinée des orientations et du développement de nos secteurs agroalimentaires.

L'Ontario qui s'apprête à voter une loi obligeant les institutions de la province à favoriser les achats de produits ontariens, le Local Food Act, est sur la bonne voie avec l'arrivée de Mme Wynne au pouvoir. Cette mesure législative concrète, si elle est votée, et dont le Québec doit s'inspirer, dépasse de loin les simples mesures promotionnelles intéressantes mais insuffisantes, auxquelles nous sommes habitués.

Au Québec, les éléments qui font la distinction de notre production agroalimentaire relèvent de plusieurs facteurs et peuvent représenter des avantages concurrentiels de taille à l'échelle internationale si nous les valorisons correctement. Mais ils peuvent aussi s'avérer irritants si nous n'utilisons pas les leviers économiques spécifiques dont nous disposons. Les normes environnementales, de salubrité, les conditions de travail ne sont que quelques éléments représentant les choix de société que nous avons faits au cours des dernières décennies et qui se reflètent, à juste prix, dans le prix de nos aliments produits et transformés ici. Mais il y a une limite à laquelle le consommateur est prêt à tenir compte de ces éléments et à passer à la caisse.

C'est donc ici qu'entre en ligne de compte cet avantage concurrentiel unique pour le Québec et sur lequel nous devons réfléchir et agir rapidement dans la foulée de l'actualisation des politiques agricoles que nous nous apprêtons à mettre en place. J'ai nommé l'énergie! Plus précisément, les surplus énergétiques. Ceux dont nous disposons et qui nous procurent cette autonomie qui nous permet d'affirmer notre statut d'État souverain au plan énergétique. Ils représentent selon moi, la clé du chemin vers une politique solide et durable de souveraineté alimentaire et nous permettraient de maintenir accessibles ces valeurs sociales inscrites dans notre culture.

Cet avantage concurrentiel unique dont nous disposons est à lui seul suffisamment puissant pour nous permettre de faire face à la mondialisation des marchés qui a à ce jour aussi contaminé les secteurs de l'agriculture et de l'alimentation malgré de nombreux signaux d'alarme. Les désastres des récentes crises alimentaires dans de nombreux pays en font foi. Même la gestion de l'offre est remise en question quoiqu'on en dise. Une telle situation justifie des actions concrètes et immédiates afin de maintenir et de faire croître une industrie au potentiel immense en termes de retombés économiques.

En ce sens, l'établissement d'une politique basée sur une interrelation entre nos surplus énergétiques et nos entreprises de production et de transformation agroalimentaire aurait un impact direct sur l'ensemble de notre économie. D'autant plus que notre gouvernement provincial possède tous les leviers nécessaires pour la concrétisation d'un tel scénario.

Je prends à titre d'exemple la production serricole au Québec, un secteur de production qui a considérablement évoluée au cours des 20 dernières années et qui a atteint des niveaux de performance exceptionnelle en termes d'efficacité énergétique. Un développement exemplaire qui nous permet d'avoir accès à plus en plus de légumes de qualité produits ici en général neuf mois par année. Imaginez l'expansion en termes de diversité de produits et de compétitivité que pourrait prendre cette industrie qui profiterait d'une telle politique. Des légumes en quantité, de qualité, 12 mois par année, produits sous éclairage artificiel et à bon prix. Cela aurait un impact majeur sur nos importations de denrées en hiver et par le fait même sur notre déficit commercial envers le Mexique.

Les exemples sont nombreux au sein du secteur agroalimentaire québécois où l'application d'une véritable politique économique sur mesure apporterait une piste de solution aux nombreux problèmes de relève et de fuites de capitaux qui affligent cette industrie vitale pour notre économie.

Des denrées québécoises et à bon prix cultivées selon nos valeurs et nos goûts qui font tourner notre économie! Voilà ce dont doivent discuter les acteurs qui seront autour de la table lors de cette séance de travail du 22 mars organisée par le ministre Gendron. Le temps de l'immobilisme est terminé et c'est un message clair orienté sur le développement auquel doit se livrer le ministre. Les outils sont là, à notre disposition, la souveraineté alimentaire du Québec sera sur les rails si nous décidons enfin de les utiliser.