Je lisais hier le texte de Pierre Foglia sur l'accès aux études supérieures. Il m'a remis en mémoire un sujet qui me turlupine depuis quelques années, et qui occasionne chez moi une montée de lait à la René Homier-Roy chaque fois que je lis tous ces éloges dans la presse écrite et orale sur la « classe étudiante », supposément éveillée, politiquement informée, curieuse et motivée, pleine de valeurs de changement social, et j'en passe.

Mon expérience de 30 années d'enseignement universitaire m'a appris le contraire. Il y a grande erreur, selon moi, à extrapoler à cette «masse» étudiante le comportement de quelques porte-parole, précisément choisis à leur poste en vertu de la qualité exceptionnelle (ce mot signifie bien « qui fait exception »), de leur raisonnement et de leurs dons oratoires. Une pareille extrapolation s'arrêterait bien rapidement.

Ce que j'ai vu chez une majorité de ces milliers d'étudiants (très majoritairement des étudiantes dans mon cas) auxquels j'ai fait face dans les amphithéâtres ou les salles de séminaires, surtout au cours de la dernière décennie de ma carrière, était beaucoup plus souvent la tiédeur du désir d'apprendre, remplacée par une homéostasie intellectuelle, c'est-à-dire une loi du moindre effort, et par une préoccupation pour le diplôme à obtenir plutôt que pour une maximisation des compétences comme futures professionnelles.

Dès le premier cours de la session, la principale discussion autour du syllabus du cours portait sur la charge de travail (aussi faible que possible, bien sûr) plutôt que sur la thématique mise au programme! J'observais aussi chez cette majorité une grande difficulté à extraire et comprendre les idées centrales de textes même relativement simples, puis à pouvoir les expliquer dans une langue minimalement correcte et structurée.

Je notais aussi un investissement de temps assez limité dans les études, exception faite évidemment du sprint de fin de session. Une majorité de ces étudiantes ne lisait pas les textes (souvent un seul!) qui avaient pour but de préparer une discussion animée pendant les cours; ceci me forçait à échanger avec quelques personnes, toujours les mêmes bien sûr, ou à présenter ces textes de façon magistrale, faute d'un nombre suffisant d'interlocutrices capables de s'exprimer de façon un peu cohérente sur le sujet à débattre.

Les étudiants motivés et travaillants existent bien sûr, et c'est un immense plaisir d'échanger avec eux et d'aider leur cheminement dans la mesure de nos habiletés, mais ils constituent une minorité. Aussi, lorsque M. Foglia juge que beaucoup d'étudiants actuels ne devraient pas se retrouver sur les bancs des universités, j'endosse totalement ce jugement. Nous aurions intérêt à implanter ici la sévérité sélective finlandaise! Et je puis vous assurer ne pas être le seul à entretenir ce jugement; plusieurs de mes ex-collègues en auraient long à ajouter sur ce sujet malheureusement tabou!

On surévalue énormément la nécessité d'un diplôme universitaire pour plusieurs occupations, et on sous-évalue tout autant, comme Pierre Foglia le signale si bien, la valeur d'occupations essentielles pour le bon fonctionnement de notre société, mais qui ne requièrent pas d'études avancées. Plusieurs de ces occupations bénéficieraient surtout d'un apprentissage sur le tas, d'une maximisation de stages pratiques par opposition à cette accumulation de cours théoriques dont la plupart des contenus seront oubliés quelques jours à peine après l'examen. Qui oserait asseoir à l'impromptu des étudiants devant un examen qu'ils ont passé quelques jours auparavant afin de vérifier ce qui subsiste dans leur mémoire à long terme? Le jeu « la petite école » de l'émission « L'union fait la force » est particulièrement éloquent à ce propos : à vue de nez, je dirais qu'on n'utilise les questions de niveau secondaire qu'à peine une fois sur deux ! Qu'on arrête donc de s'illusionner sur cette course vers la « baccalauréatisation » du plus grand nombre, un objectif dont on s'efforce trop souvent de s'approcher en réduisant les exigences, autant celles de l'accès que celles de la progression.

Un ami m'a d'ailleurs signalé récemment un cas particulièrement patent de ce nivellement par le bas : l'obligation pour les cégeps d'accepter tout étudiant qui a complété un DES, quelle que soit la note obtenue. Comme s'il n'y avait aucun accroissement de difficulté dans les programmes d'un niveau d'étude au suivant! L'image qu'on renvoie, c'est que tous ceux qui ont réussi le cours primaire ont droit d'entrer au secondaire, et que tous ceux qui ont complété le secondaire ont droit de passer au collégial, et ainsi de suite!