Notre histoire d'amour avec l'endettement en Occident a débuté il y a 30 ans. La victoire contre l'inflation galopante des années 70 a conduit les taux d'intérêt à amorcer une lente, mais spectaculaire descente, passant de plus de 15% à presque zéro aujourd'hui, rendant l'endettement de plus en plus facile.

Les innovations technologiques et financières, ainsi que notre régime de monnaie fiduciaire, qui n'impose pas de limites au crédit sinon celle de la confiance, ont aussi contribué à la multiplication des emprunts, jusqu'à la crise de 2008.

Au Canada, l'endettement des ménages a doublé depuis 1990, atteignant près de 170% par rapport aux revenus disponibles. Les dettes totales, privées et publiques, relativement au PIB ont pratiquement doublé depuis 1980 aux Canada et aux États-Unis, atteignant aujourd'hui presque trois fois le PIB. Cette croissance phénoménale n'est pas sans conséquences.

Ainsi, l'endettement, qui a financé entre autres la consommation, a propulsé notre croissance économique depuis 1980. Nous avons donc élevé notre niveau de vie au-delà de celui commandé par la hausse de la productivité.

Cette grande histoire d'amour avec l'endettement se conclura de façon douce ou abrupte. Au mieux, la limite à l'endettement va simplement ralentir notre croissance économique. Au pire, un retour rapide à des niveaux de dette plus bas, et autour des moyennes historiques, provoquerait une dépression économique.

La Réserve fédérale américaine tente de maintenir une croissance des revenus à l'aide de taux d'intérêt en-deçà du taux de croissance économique, en espérant qu'une combinaison d'inflation, d'un meilleur bilan des ménages encourageant la consommation, d'une productivité accrue et d'une augmentation des exportations vers les nouveaux marchés d'Asie, réduisent progressivement les dettes en proportion des revenus. Au moins deux scénarios peuvent bouleverser ce plan.

Premièrement, un nouveau choc dans la confiance créerait un désir démesuré d'épargne et de réduction brutale d'endettement, entrainant une récession. Deuxièmement, une hausse de l'inflation trop rapide, donc avant que le chômage et l'endettement ne baissent suffisamment, pourrait forcer les banques centrales à accepter cette inflation sans hausser les taux d'intérêt, donc à abandonner ainsi leur objectif d'inflation stable poursuivi depuis 1980.

En laissant exploser nos dettes, phénomène, comme on le voit, aux conséquences risquées, aurions-nous déjà franchi le Rubicon? Notre niveau d'endettement pourra-t-il supporter, sans créer une forte récession, des hausses de taux d'intérêt lorsque l'inflation viendra? Les banques centrales misent sur une croissance économique assez forte pour éventuellement soutenir une telle hausse. Mais encore faut-il que notre reprise économique soit basée sur des facteurs autres que des prix d'actifs  qui montent - marchés boursiers ou maisons - engendrés par ces bas taux d'intérêt.

La transition vers une croissance économique soutenable à long terme, avec un endettement sous contrôle, sera donc difficile et doit inclure une productivité accrue, de nouveaux marchés d'exportations et un peu plus d'inflation.

Nous avons peu de marge d'erreur. Pris au piège par notre endettement, une croissance économique qui déraille pourrait entrainer un financement prolongé des dépenses publiques par les banques centrales - déjà amorcé aux États-Unis et en Angleterre, bien que de façon temporaire. Le Canada ne serait pas épargné. Il serait alors difficile de faire pousser l'argent dans les arbres sans conséquences inflationnistes à long terme.