Le Nouvel An chinois marque le retour au village pour de très nombreux travailleurs des usines côtières, celles qui fabriquent la majorité des biens que nous consommons tous les jours. En majorité des jeunes, ces travailleurs ont passé les 11 derniers mois à travailler six jours par semaine, souvent plus de 12 heures par jour, et à partager le dortoir fourni par l'entreprise dans une grande promiscuité.

Ils seront accueillis en héros, avec des cadeaux pour tous les membres de la famille et un petit pécule pour les parents. Au bout de deux semaines, ils reprendront l'autocar ou le train pour parcourir des milliers de kilomètres qui les ramèneront dans les grandes villes industrielles de la côte.

Cependant, depuis huit ans, une tendance se dessine: il y a moins de travailleurs qui retournent au travail après ce congé annuel, ce qui provoque une pénurie de main-d'oeuvre. Jusqu'en 2010, les usines perdaient 10% de leur main-d'oeuvre au retour des vacances. Certains trouvaient des postes plus intéressants chez des compétiteurs ou restaient au village pour aider leurs parents agriculteurs ou occuper de petits métiers. Les entreprises réussissaient à combler la perte par de nouveaux employés fraîchement arrivés sur le marché du travail et désireux à leur tour de vivre cette grande aventure urbaine.

Mais en ce début de l'année du serpent, c'est plus d'un travailleur sur quatre qui ne retournera pas à son usine, estiment les autorités chinoises. Cette pénurie de main-d'oeuvre au sein d'une population de 1,4 milliard d'habitants semble impossible, mais quelques facteurs expliquent cette situation.

La politique de l'enfant unique a des répercussions importantes sur la pyramide des âges. En 2012, le nombre de travailleurs chinois dans la force de l'âge a chuté de 3,45 millions de personnes. Cette statistique est inquiétante, car malgré une population active nombreuse, la pyramide se retourne rapidement.

Autre facteur: le développement d'usines à l'intérieur du pays, là où vivent les travailleurs. Ces usines fabriquent pour la classe moyenne émergente qui consomme de plus en plus. Comme les produits ne sont pas voués à l'exportation, il n'est plus nécessaire de s'installer près des cours d'eau pour favoriser le transport maritime. Il y a donc une alternative intéressante pour les travailleurs qui ne veulent plus s'expatrier pour trouver du travail.

Enfin, les jeunes, plus scolarisés que leurs parents, souhaitent des postes plus prestigieux que ceux que l'on retrouve dans les usines et lèvent le nez sur les tâches routinières de ces emplois. Issus de la politique de l'enfant unique, ils sont des enfants rois. Habitués à recevoir tout ce qu'ils veulent depuis leur tendre enfance, ils font de très piètres travailleurs, souvent irrespectueux envers l'autorité.

Ces facteurs ont un effet direct sur la compétitivité de la Chine exportatrice. Pour attirer les travailleurs, les usines offrent des primes au rendement, des augmentations de salaire, des bonis. Elles améliorent les installations, offrent de meilleurs repas, offrent même des logements pour que les employés puissent venir avec leur famille.

Ces changements structurels ont un impact direct sur les coûts d'exploitation de ces usines. En raison de ces hausses, la Chine perd petit à petit son avantage concurrentiel. D'autres pays émergent doucement: le Vietnam, l'Indonésie, la Corée du Sud.

Le succès de la croissance de la Chine a été la mobilisation d'une force ouvrière sans précédent pendant plus de 35 ans. Cette période est révolue.

Dans les officines du pouvoir, on s'active à trouver une façon d'assouplir la politique de l'enfant unique, de même que celle du hukou, le passeport chinois qui empêche les travailleurs des usines provenant des villages de jouir des mêmes services sociaux que les citadins.

La Chine est une grande puissance mondiale aux pieds d'argile. Sans une révision complète de ses politiques, son ascension ne sera qu'éphémère.