La Presse du 22 janvier titre: «Compressions de 50 millions au CUSM». La nouvelle ne surprendra personne puisque l'établissement est aux prises avec un scandaleux déficit annoncé de 115 millions en 2012-2013. «Du jamais vu dans l'histoire du Québec», souligne encore l'article. Nous ne sommes pas à un déficit près dans le réseau de la santé, peut-être pas à cette hauteur, mais qu'importe!

Il s'agit là d'un problème chronique. Depuis la création des Conseils régionaux de la santé et des services sociaux (CRSSS) en 1971 et celle des premiers CLSC en 1972, jusqu'à l'adoption en 2003 de la loi 25 transformant les régies régionales en agences, dont les CSSS émanent, le réseau vit en «crise administrative» permanente. Le célèbre professeur de management Henry Mintzberg affirmait dans La Presse du 19 mai 2007: «Les systèmes de santé ne sont pas en crise. Une grande partie de leurs problèmes viennent de leurs succès. C'est leur administration qui est malade.»

Pour illustrer, revenons au cas du CUSM où les solutions proposées et le discours stratégique tenu par les uns et les autres souffrent du même mal. Mal que Vincent de Gaulejac, spécialiste français de la gestion d'entreprise, appelle le discours de l'insignifiance, qui «recouvre la complexité par l'évidence, neutralise les contradictions par le positivisme, éradique les conflits d'intérêts par l'affirmation de valeurs qui se veulent universelles...» Et c'est vraisemblablement ce qui se passe au CUSM.

D'abord, on ne doit plus parler de compressions budgétaires, affirme la direction, mais de «mesures d'optimisation». Juste un petit changement de terme et on imagine des actions sans vraiment en peser la pertinence ni la portée pour les patients, le personnel, le fonctionnement de l'organisation. Actions administratives souvent inopérantes ou désastreuses si on en juge à l'aune de l'expérience passée et de la pratique en matière de soins.

Ensuite, on s'appuie sur un rapport d'experts comptables, d'un optimisme incontestable: tout ayant été mesuré, calculé. Au CUSM, dorénavant, toutes les unités devront atteindre des cibles économiques, au nom de la performance, bien sûr. Comme si la réalité complexe de la gestion d'un établissement hospitalier pouvait se réduire au calcul du nombre de visites en consultation externe, du nombre de minutes qu'il faudrait retrancher en salle d'opération. Ou simplement à écourter la «durée moyenne de séjour de patients» après une chirurgie.

Les problèmes de gestion dans les organisations sont souvent engendrés par les gestionnaires eux-mêmes. Ils mettent toute leur foi dans l'analyse rationnelle à partir de techniques de mesure et de calculs de plus en plus sophistiqués afin de faire entrer la réalité du monde dans un modèle de gestion purement économique.

Dans un tel contexte, la réalité profondément humaine des opérations - comme celle des personnes ayant besoin de soins - disparaît au profit d'une réalité virtuelle où le vécu des personnes et celui des pratiques du métier se réduisent à la dimension des modèles ou théories développés.

Une sorte de conception géométrique des organisations s'est «installée», avec son propre modèle d'évaluation de la performance. Résultat d'une pensée dominante en management où on ne se surprend plus de voir des gestionnaires «accros» de formules plus ou moins mathématiques annonçant des solutions toutes faites, parfois d'un simplisme déconcertant. Il est aussi là le problème.

Aussi, le ministre Réjean Hébert, dans son analyse des solutions proposées, devra peut-être revoir le rôle des directions, y compris celui des fonctionnaires du ministère, qui se révèle problématique du point de vue de la responsabilité et de l'autonomie nécessaire au bon fonctionnement de ce qui se passe sur le terrain.

Ce qui est en cause, c'est la confiance du personnel des établissements de santé et de la population en général dans l'autorité et les compétences de nos dirigeants dans le réseau de la santé.