Il est à parier que le jugement rendu par la Cour suprême dans l'affaire Éric c. Lola recevra un accueil positif au sein de la population. La liberté des conjoints de fait de convenir des effets économiques de leur relation est assurée. L'intégrité du droit québécois est protégée. L'affaire est close. Il est pourtant possible de penser, et de souhaiter, qu'il en soit autrement.

La question posée à la Cour était de savoir si la politique familialiste québécoise était discriminatoire aux termes de la Charte canadienne. La réponse a été on ne peut plus partagée, une majorité de cinq juges sur neuf ayant répondu par l'affirmative. Si le Code civil demeure intact aujourd'hui, c'est parce que la juge en chef Beverley McLachlin a été d'avis que la discrimination était justifiée et qu'il fallait laisser au législateur une latitude sur les questions sociales sensibles.

Or, le respect des droits et libertés individuels n'est pas le seul critère pour juger si une loi est bonne. Si l'arrêt de la Cour suprême met un terme à cette question, elle laisse entière l'incohérence structurelle du système. Au législateur d'agir.

Le droit québécois reposerait sur le respect de la volonté des conjoints de fait. D'une part, les lois sociales leur reconnaissent les mêmes droits et obligations que les couples mariés sur la base de la similarité de leurs relations. À l'inverse, on respecte la liberté des conjoints de fait de ne pas être soumis aux effets économiques du mariage. Si ce système peut paraître logique, il révèle à l'analyse des failles. D'abord, plusieurs conjoints de fait se croient, à tort, soumis aux effets économiques du mariage. De même, on soumet ainsi le régime de protection au consentement des deux conjoints.

Mais plus encore, le système actuel recèle une incohérence irréductible. Le législateur a fait le choix d'encadrer les effets du mariage afin de protéger, au-delà des volontés individuelles, les conjoints d'une éventuelle vulnérabilité économique. Or, cette vulnérabilité ne découle pas de la forme de l'union, mais bien de l'interdépendance qu'elle a créée.

Pourquoi alors ne pas protéger les conjoints de fait contre cette vulnérabilité lorsque l'union présente des caractéristiques similaires? Par respect de leur liberté? Mais alors, pourquoi cette liberté ne devrait-elle pas aussi être protégée dans le mariage?

Il y a dans ce discours une contradiction irréconciliable, le législateur créant d'une main un cadre législatif impératif de protection et, de l'autre, un moyen de contournement.

À bien des égards, l'union de fait a été instrumentalisée afin d'éviter le débat le régime du mariage. La réponse était simple: personne n'est obligé de se marier. Réponse simple, mais insatisfaisante, la cohérence et l'efficience de la politique familialiste requérant que les dispositions impératives de protection s'appliquent à toute forme de conjugalité fonctionnellement similaire.

Il importe que le débat soit maintenant orienté vers cette cohérence de même que sur la place à donner aux valeurs qui innervent le droit de la famille que sont la liberté certes, mais aussi la solidarité.

Si le législateur québécois a su s'affranchir de ce débat, il est à souhaiter, et les premières réactions du ministre de la Justice nous permettent d'y croire, qu'il ne l'évitera plus et qu'il présidera à une réflexion large et globale sur notre droit de la famille.

Si certains pouvaient encore douter de cette nécessité, la grande division de la Cour suprême (l'une des plus divisées de son histoire), simple reflet de celle de la société, la rend plus évidente encore.