La violence conjugale transcende l'âge, la race, la culture, la langue, les statuts socioéconomique, matrimonial et parental, le degré d'éducation, les handicaps et l'orientation sexuelle. Le public et les professionnels s'efforcent depuis longtemps de mieux comprendre l'importance, la nature et les effets de la violence conjugale afin de concevoir et d'offrir des services plus efficaces pour lutter contre ce fléau.

Or, les trop nombreux reportages sur des femmes et des enfants tués par leur conjoint ou leur père nous rappellent brutalement qu'il faut accorder encore plus d'attention à ce problème.

C'est pourquoi les mesures présentées la semaine dernière par le gouvernement du Québec en matière de lutte contre la violence conjugale sont essentielles pour nous assurer que nos plus grandes craintes - à l'égard des femmes et des enfants qui risquent d'être victimes d'un homicide -  ne se concrétisent jamais.

Ces propositions comprennent notamment une intervention précoce auprès d'hommes en détresse qui se sont montrés violents envers leur partenaire, ainsi que le financement de groupes de soutien aux hommes violents. À cela, ajoutons l'importance d'une détection plus efficace de la dépression et de la consommation abusive d'alcool dans un contexte de violence conjugale.

L'expérience clinique et la recherche viennent étayer le bien-fondé de telles initiatives. Ainsi, les chercheurs ont depuis longtemps mis en évidence la détresse accrue ressentie par les hommes violents lorsque leur partenaire tente d'exprimer son désaccord ou, pire encore, de mettre un terme à la relation.

La décision de quitter un homme qui abuse de son pouvoir peut mener à une escalade de la violence qui se traduira soit par une agression physique soit, dans le pire des cas, par un homicide conjugal.

Une analyse récente des statistiques sur les actes criminels suggère également que les auteurs d'homicides conjugaux sont souvent déjà connus des autorités policières et judiciaires en raison d'antécédents de violence, souvent dirigée vers une partenaire ou une ex-conjointe.

On estime également qu'un problème d'abus d'alcool ou de drogue est associé à la violence sous toutes ses formes dans environ 55 % des cas. Il importe de comprendre que cette forte corrélation ne permet pas de conclure que l'utilisation de ces substances est la cause directe de la violence conjugale. Il semble plutôt que ces dernières, en exerçant un effet désinhibiteur, abaissent le seuil du passage aux formes non physiques de violence - émotionnelle, psychologique ou financière - aux formes physiques plus susceptibles d'entraîner des blessures et une intervention des autorités policières.

Cet ensemble de facteurs nous invite à intensifier nos efforts afin d'améliorer les stratégies permettant de déceler et d'évaluer le risque de violence conjugale en général, et la dangerosité et le risque de décès en particulier. De nombreux professionnels de la relation d'aide sont sensibilisés au problème de la violence conjugale et possèdent les compétences nécessaires pour la dépister. Une formation plus poussée doit toutefois leur être offerte afin qu'ils puissent intervenir plus efficacement auprès d'hommes violents qui vivent une séparation pour mieux évaluer leur dangerosité.

L'évaluation doit comporter des questions sur les antécédents de violence (fréquence, gravité, utilisation d'une arme, menace d'attenter à la vie, harcèlement criminel); l'état d'esprit de l'agresseur et l'existence de facteurs situationnels tels qu'une séparation d'avec la partenaire ou les enfants; et, enfin, la présence de facteurs désinhibiteurs, notamment la consommation abusive d'alcool ou de drogue. L'évaluation du risque de décès permet de tracer le portrait global des antécédents de violence et d'en mesurer l'intensification. Il peut néanmoins se révéler difficile d'appliquer un protocole d'évaluation aussi rigoureux.

Les orientations prévues dans le Plan d'action gouvernemental reconnaissent l'importance d'une détection précoce. Les ressources actuelles étant insuffisantes et sous-financées, ces orientations doivent se traduire en un appui financier afin de s'assurer que les thérapeutes possèdent les compétences nécessaires pour évaluer le risque de décès et que les professionnels puissent déceler les signes de dépression, atténuer la stigmatisation et repérer les agresseurs potentiels. Des mécanismes de consultation et de communication avec d'autres professionnels de la relation d'aide seront également essentiels au succès de ces mesures.