Affirmer que les Québécois ne s'intéressent pas à l'histoire du Québec va du sens commun aujourd'hui. Un intellectuel peut l'affirmer à travers diverses entrevues, sans être incité à fournir de preuve de ce qu'il avance. Et les Québécois dans tout ça, leur a-t-on simplement demandé s'ils s'intéressent à leur histoire?

«Malheureusement, trop de Québécois semblent croire que leur passé se résume à une désespérante 'Grande noirceur', sans grand intérêt pour le présent et pour l'avenir. Grave erreur... » Ce diagnostic sévère provient de l'historien Éric Bédard, en introduction de sa récente synthèse L'histoire du Québec pour les nuls.

Depuis plusieurs années, Éric Bédard, comme d'autres, répète sous différentes formes ce diagnostic. Or, de quels Québécois parle-t-on ici ? Quels sont les preuves et le barème pour déterminer que trop de Québécois ont une mémoire collective atteinte du syndrome de la Grande noirceur ?

Il n'y a pas de preuves concrètes qui valident ce diagnostic dans les travaux de M. Bédard, notamment dans son récent essai sur le rapport au passé des Québécois. Il manque à l'appel des citations de Québécois « ordinaires » résumant le passé comme une désespérante Grande noirceur, sans grand intérêt pour le présent et pour l'avenir. Paradoxalement, même si la mémoire collective québécoise semble malade, M. Bédard l'utilise comme base de son Histoire du Québec pour les nuls, qui est « une synthèse des faits marquants de l'histoire du Québec. Du moins, ceux retenus par la mémoire collective. »

Le diagnostic voulant que les gens ordinaires se désintéressent du passé est répandu. Par exemple, James Moore, ministre du Patrimoine canadien, déplore le peu d'intérêt de ces concitoyens envers l'histoire de leur pays. Cela justifie la pertinence de la commémoration de la guerre de 1812 et la création du Musée canadien de l'histoire. Au Québec, d'autres types solutions sont proposés au problème du désintérêt chronique envers l'histoire : intensifier l'enseignement de l'histoire politique au secondaire, au cégep et à l'université; lire l'Histoire du Québec pour les nuls; faire table rase de la Grande noirceur duplessiste. Aux grands maux, les grands remèdes !

Mais qu'en est-il lorsqu'on sonde l'opinion des Québécois vis-à-vis l'histoire du Québec ? Les enquêtes sur ces questions sont peu connues, laissant toute la place au sens commun en la matière. Voici quelques-uns des principaux résultats de ces enquêtes.

En 2006, Marie-Laure Julien invite 166 Québécois au cégep à raconter l'histoire du Québec : « Les étudiants reproduisent une histoire dont ils peuvent être fiers ».

En 2007-2008, une étude intitulée Les Canadiens et leurs passés sonde 643 Québécois sur l'importance accordée au passé de leur province. 84% le trouvent plutôt ou très important.

En 2009, je tends un questionnaire à 51 Québécois au Moulin à paroles. 41 d'entre eux sont complètement d'accord avec l'énoncé « Je m'intéresse à l'histoire du Québec »

En 2011, un sondage Léger Marketing-Association d'études canadiennes auprès de 572 Québécois montre que 75% d'entre eux sont plutôt ou très intéressé par l'histoire de leur province.

Collaboratrice d'une étude auprès de 122 Québécois et publiée en 2011, Roxane de la Sablonnière constate que ce sont les périodes de l'histoire du Québec jugées négativement par les participants (ex. Conquête) qui forgent le plus leur identité collective québécoise.

La majorité de ces résultats, comme d'autres, sont disponibles sur le web pour qui veut les consulter. En résumé, aucune étude empirique ne confirme l'intuition voulant que la majorité des Québécois se désintéresse de leur histoire. Or, à tant parler d'une Grande Noirceur mémorielle, qui sait, il n'est pas impossible que les Québécois finissent par le croire.