Il est un peu passé midi, en ce vendredi 5 octobre. Un ministre veut me parler; c'est même le tout nouveau ministre de la Santé... Pour qu'un ministre prenne la peine de me téléphoner personnellement, il faut que je sois, ou très influente, ou encore que mon cas soit très, très pathétique... Devinez dans quelle catégorie je me situe?

J'ai 32 ans, je suis maman d'une fille de 10 ans et d'un garçon de 9 ans, enseignante de français au secondaire, et atteinte, depuis 2007, d'un très rare cancer neurologique incurable et dégénératif. Un cancer de la moelle épinière qui me paralyse progressivement. Je suis stationnée dans un CHSLD depuis le 4 décembre 2011, faute de mieux, et avec une facture salée dans le détour.

Lors de notre entretien téléphonique, le ministre Réjean Hébert admet sans hésiter que le calcul des frais imposés aux familles de résidants en CHSLD pour défrayer leur séjour ne tient pas compte des réalités familiales actuelles. Je lui demande alors s'il est au courant que deux solutions concrètes ont été proposées à mon mari pour qu'il n'ait plus à payer ces frais inhérents à mon placement: le divorce ou la séparation de biens lui permettraient d'être exonéré de ces sommes. C'est le monde à l'envers! Une honte! Briser des familles, chapeau!

Comme je l'ai au bout du fil, j'en profite pour l'informer que je me bats bec et ongles chaque jour depuis un an pour aller vivre à la maison auprès de mes deux enfants qui ont besoin de grandir près de leur maman. Actuellement, je ne fais que regarder le temps s'écouler dans ce centre où on m'a reléguée, faute d'heures de soins à domicile disponibles au moyen du CLSC.

Je lui mentionne également au passage que rien n'y est adapté pour moi. Il m'assure alors que son ministère fera tout pour me ramener chez moi, qu'il y verra personnellement et que ce n'est qu'une question de «quand» et de «comment».

Le mercredi suivant cet appel inespéré, quelle ne fut pas ma surprise de recevoir un nouveau coup de fil du cabinet du ministre de la Santé, d'une employée ayant autrefois travaillé sur mon dossier. Elle m'informe de son désir d'aller de l'avant au plus vite.

Lorsque, le 31 octobre, la première ministre Marois a effectué son discours inaugural et qu'elle a abordé la santé, j'étais aux anges! Elle affirmait haut et fort qu'elle créerait une politique nationale de soins et de services à domicile visant à permettre au plus grand nombre d'êtres humains qui le peuvent et qui le désirent, de demeurer à domicile le plus longtemps possible, grâce à des soins publics financés par le gouvernement... C'est tout à fait moi, ça!

Forte de cet air frais de changement émanant de la «femme de béton», je me disais que les choses ne pouvaient plus que bien aller désormais! Eh bien, non!

Coup de théâtre il y a 10 jours. L'employée du cabinet du ministre Hébert m'annonce à regret que son ministère ne pourra finalement pas me venir en aide. Là, à cet instant, je craque! Pardon? Quoi? Pourquoi? Malgré ma réaction, ma peine et mes souffrances intérieures, je ne peux plus espérer davantage?

Qui va apprendre à mes deux amours que non, il n'y en a pas de solution à ma triste réalité? Que personne ne mettra la main dans sa poche pour payer mes soins quotidiens et me ramener à vous?

Donc, tenez-vous le pour dit: dans ce Québec (trop) plein de promesses, il n'y a, semble-t-il, qu'un seul choix pour les très rares Roxane de ce monde qui ont de simples besoins: aller s'enterrer prématurément dans un CHSLD et coûter à l'État plus de 6000$ par mois! Oui, l'État est disposé à payer plus de 6000$ par mois pour me maintenir «en vie» en CHSLD, bien que cette seule somme me fournirait plus de soins que nécessaires à la maison, chez moi, entourée des miens, tout en libérant un lit pour une personne qui en a réellement besoin et qui attend sa place sur une liste.

Où s'en va-t-on avec tout ça? Oh certes, mon histoire saura sans doute émouvoir certains lecteurs, mais qui se lèvera pour faire bouger les choses? Un volontaire dans la salle?