Concernant plus spécialement le foulard musulman au Québec, divers arguments ont été présentés pour en interdire le port chez les employées de l'État. Encore là, je ne crois pas qu'ils passent le test du motif supérieur.

Incontestablement, pour un certain nombre de femmes, le foulard est un symbole de soumission et même d'oppression de la femme.

Mais pour d'autres femmes musulmanes, il est tout autre chose: un symbole librement adopté de leur foi, une marque identitaire, une pratique coutumière enracinée dans des traditions régionales ou nationales, un signe de rejet de l'hédonisme marchand occidental, etc.

Ces femmes, qui exercent simplement leur droit, seraient donc doublement lésées par une interdiction générale au nom de la laïcité ou de l'égalité homme-femme.

Pour ce qui est des autres femmes, celles qui sont opprimées dans leur famille ou dans leur communauté et auxquelles le port du foulard est imposé, on ne voit pas bien non plus en quoi leur condition se trouverait améliorée si le port du foulard était prohibé.

Ces femmes soumises à un régime d'oppression familiale pourraient même encourir des représailles de la part de leurs proches pour s'être soustraites au port du foulard. En d'autres mots, supprimer de force ce que l'on tient pour un symbole d'oppression ne changerait rien à la réalité des rapports sociaux à l'origine de cette oppression.

On se trouve ici devant des situations difficiles qui exigent la mise en oeuvre d'interventions prudentes au sein des familles et des communautés concernées afin d'assurer à ces femmes une plus grande intégration socioéconomique, un apprentissage accéléré du français (là où le besoin existe), une participation à la vie civique et politique et une protection contre leur milieu immédiat.

On a dit aussi qu'en lui-même, indépendamment des motifs des femmes qui le portent et du sens qu'elles lui donnent, le foulard serait un symbole intrinsèquement repoussant et condamnable, au même titre que la croix gammée ou les symboles du Ku Klux Klan.

À cause de la diversité des facteurs ou des motivations à l'origine du port du foulard, on s'accordera à voir dans cet énoncé une généralisation abusive qui ne s'accorde pas avec la réalité québécoise. Le contexte importe aussi: si le hidjab peut se prêter à de telles associations dans certains pays, ce n'est certainement pas le cas dans les Amériques.

On invoque parfois le spectre d'un complot islamiste dont le port du foulard serait le cheval de Troie ou «l'étendard» (groupe Point de Bascule). En vertu d'un effet domino, le port de ce symbole ouvrirait la porte à tout le reste, c'est-à-dire à un projet de domination politique de l'Occident accompagné de la destruction de ses institutions et des valeurs qui les supportent. Cette sombre perspective étonne. Après tout, on parle ici d'un contingent plutôt mince.

Selon diverses estimations (dont aucune n'est fondée sur un recensement rigoureux), entre 10 % et 20 % des musulmanes québécoises porteraient le hidjab; et parmi celles-ci, il faut exclure toutes celles qui, manifestement, ne se définissent pas comme des «soldates d'Allah». Mais surtout, comment concevoir qu'un scénario aussi noir puisse se réaliser sans une passivité invraisemblable et un consentement encore plus improbable de l'ensemble de la société québécoise?

La grande vigilance dont fait preuve la population donnerait plutôt à penser que, pour le moment du moins, nous sommes bien loin de cette échéance.