Je rêve à mes seins. Moelleux et lourdauds, frémissants sous le satiné d'une robe d'été, presque au garde-à-vous. Des «girls» coquines qui se hérissent à la moindre brise.

Dans mes songes, ils ne sont pas en soie fripée et sensibles, tatoués d'ecchymoses aux endroits où j'ai eu les biopsies. J'ai des seins de rêve, des attributs dignes de Marilyn, plus grands que nature. Ils prennent toute la place, ils annoncent mon arrivée et font regretter mon départ. Un mirage voluptueux. Mes seins de jadis, ceux qui nourrissaient mon fils, retroussés par une menotte autoritaire. Une petite giclée sur la joue de mon époux qui tournait comme un loup dans la bergerie. Dans mes rêves, je les pose au creux de mes mains et j'épie la vie qui s'y trouve. Dans la vraie vie, je les pose au creux de mes mains pour les soustraire à la loi de la gravité.

S'ils pouvaient parler... mes seins vous réciteraient mes extases. En crescendo, en decrescendo, les explosives et les petites ordinaires du quotidien. Y a-t-il une autre partie du corps qui soit aussi festive, parée (et parfois déguisée!) ou merveilleusement dénudée? Les yeux observent, le nez hume, les mains s'accrochent et les seins... les seins règnent.

«Il faudrait donner la parole à nos seins lorsqu'on a le cancer!», me disait une amie l'an dernier. Elle avait fait le deuil de sa poitrine après une mastectomie complète. Ablation ou pas, on a toujours des seins entre les deux oreilles. On fait «comme si» avec des prothèses, des bourrures, des bombés et du rebondi. Cette amie avait finalement accepté de sangler son poitrail avec un soutien-gorge factice. Un lifting dans le t-shirt, ça rend de bonne humeur.

«Touche, ils sont pas durs du tout», dit-elle en m'invitant à poser mes mains sur ses bonnets «B». Mais à son sourire, c'était du triple D de bonheur.

Je tâte et ma foi, c'est vraiment comme dans mon rêve: ferme et moelleux. Ma belle amie, une grande blonde qui me toise d'une bonne tête, arrive à oublier le «Big C», le cancer. Et moi, j'oublie que je la pelote en plein après-midi, dehors, à la vue de tous les voisins. Et nous éclatons de rire.

En attendant la chirurgie, il m'arrive de perdre mon sourire. Si le plan de match va comme prévu, je conserve mon sein gauche, celui où se trouve la tumeur. J'aurai la paire au réveil. L'un d'eux sera cependant balafré, mais malgré tout souverain.

Elles n'étaient pas si mal, mes quetouches. Avec juste ce qu'il faut de flétrissement pour attendrir mon amant vieillissant. Je ne leur en voulais pas de baisser pavillon. Je n'ai même jamais pensé les soumettre à la torture d'implants ou d'un redrapage. Un décolleté plongeant? Le débat ne durait jamais bien longtemps... Je prenais encore mon pied en les habillant de dentelle. Mais cette belle insouciance est désormais chose du passé. Mon regard change parce que mes seins m'ont trahie. D'innocentes mamelles où se tapit dorénavant Alien, un prédateur que je ne dois pas sous-estimer. Oubliez les affriolants Lejaby, il faut plutôt sortir la matraque.

Ce n'est pas mon genre de finir avec des allusions violentes. Ma mère m'a donné une minuscule croix incrustée de pierres roses. Je la laisse pendre au bord de mon décolleté abyssal. Abyssal dans mes rêves. Regardez-moi dans les yeux, comme disait Marie-Chantal Toupin. Je suis une femme. Je ne suis pas une malade.