Il y a cinq ans, j'ai signé une lettre dans La Presse qui exprimait ma détresse face à la dégradation et la déshumanisation de nos salles d'urgence. Depuis, j'ai choisi de travailler en soins à domicile, espérant pouvoir le faire jusqu'à la retraite.

Que de défis, que de besoins, que de réorganisations! Mes patients sont toujours les mêmes: des êtres humains traversant une période difficile de leur vie et ayant besoin d'accompagnement et de soins professionnels et humains.

Mon questionnement est celui-ci: peut-on encore être infirmière après 50 ans? Vais-je pouvoir me rendre à cette fameuse retraite? J'ai plutôt l'impression que le réseau de la santé - plus particulièrement le CSSS Laval -, est comme une armée qui tue ses propres soldats. Incroyable!

On parle de pénurie d'infirmières, mais j'en viens à croire qu'elle est artificielle et créée par la bureaucratie et les sacro-saintes contraintes syndicales. Les combattants pris entre deux feux souffrent d'une mort précoce.

Depuis quelques mois, nos gestionnaires ont pris la décision de mettre en place et d'imposer la «garde de nuit» à toutes les infirmières des soins à domicile. Cela signifie qu'au son du téléavertisseur relayé par Info-Santé, je dois quitter la maison en pleine nuit pour me rendre chez un patient (qui a incontestablement un réel besoin), peut-être passer au CLSC chercher du matériel, prodiguer les soins requis, et finalement revenir me coucher afin d'être au travail le lendemain pour voir mes patients réguliers.

De longues négociations entre notre syndicat et l'employeur n'ont rien donné. Il y a une faille dans notre convention collective qui permet de nous imposer la garde de nuit.

À 52 ans, mon corps et mes pensées se révoltent totalement contre cette organisation du temps de travail non choisie. J'ai travaillé 25 ans à l'urgence et aux soins intensifs et cinq ans aux soins à domicile. J'ai bien connu les rotations jour-soir-nuit et le temps supplémentaire. Je suis usée. Ma passion est toujours là, mais le corps ne peut plus suivre.

Serais-je en mesure d'offrir des soins de qualité et sécuritaires après une nuit sans dormir parce que j'aurai été «de garde» ? Plusieurs d'entre nous ont des problèmes de sommeil et de santé et prennent de la médication. Réponse des patrons: «Ne pas prendre ta médication quand tu es de garde» ! Nos gestionnaires sont-ils nos médecins de famille? La raison ultime est le budget et toujours le budget enrobé dans «le bien-être de nos usagés». Y a-t-il vraiment des économies à faire à encourager des infirmières d'expérience à des départs précoces, sans parler des congés de maladie? D'autres solutions existent; mais aucune n'a été entendue par notre employeur.

Mon désarroi et celui de plusieurs compagnes de travail sont grands. Serons-nous entendues et comprises? Rien n'est moins sûr... Que nous réservent nos dernières années dans notre profession?

Est-il utopique de penser repousser l'âge de la retraite, comme cela est préconisé par les grands économistes? Est-ce que notre nouveau ministre de la Santé saura consulter les infirmières de la base, et non seulement les instances syndicales et les gestionnaires, qui n'ont pas nécessairement une idée réelle de notre vécu et qui ne désirent surtout pas en entendre parler?

Quelqu'un veut mon CV? Quelqu'un aimerait discuter des vrais enjeux des infirmières?