Je ne sais pas s'il est possible de changer rapidement la culture politique d'un peuple, mais nous aurions grand intérêt à réviser nos valeurs et méthodes à cet égard au Québec.    

Je vise la politique de la terre brûlée, la culture de la nuisance à l'adversaire et de l'inefficacité induite, provoquée, voulue avec la rancoeur de la défaite, la hargne et la méchanceté de l'envie.

Léo Bureau-Blouin a mis son petit doigt acidulé sur un immense bobo sociétal en plaçant sous les projecteurs l'inconduite systémique de tous les députés qui se sont succédé à l'Assemblée nationale depuis que l'équipe du tonnerre a libéré le Québec de la grande noirceur duplessiste en 1960. Qu'il soit accepté et admis dans les cercles politiques de tous les partis, depuis lors, que le député sortant vaincu détruise ses dossiers de circonscription avant la prise en charge du successeur est inacceptable, mesquin et honteux.

Bien sûr, il y a eu des exceptions au fil du temps, mais bien peu. La dévotion au parti n'excuse pas tous les errements, encore moins lorsqu'ils sont aussi corrompus par l'intérêt personnel. Quel élu défait ne rêve pas secrètement ou à haute voix de retourner l'intrus à l'anonymat! Nuire à son efficacité pendant son terme peut sembler de bonne guerre. Pas dans mon grand livre des procédures politiques acceptables.

Les députés sont les intermédiaires-mandataires des citoyens dans leurs relations avec l'État. La majorité des citoyens qui font appel à leur député le font pour faire valoir un droit bafoué par la machine gouvernementale, ou formuler une demande légitime pour améliorer leur sort, celui de leur entreprise, ou faire valoir une objection à un projet nuisible, selon eux. Bref, en l'absence d'accès direct au ministre concerné, le député est un lien essentiel et privilégié de l'État avec le citoyen ordinaire.

Les «dossiers de comté» des députés traitent de problématiques, d'avenues de solution et d'obstacles qui appartiennent à l'État et au citoyen concerné. Pas au député. Quand donc les députés se verront-ils autrement qu'en instruments d'un parti politique? Le cynisme citoyen envers les politiques ne se limite pas aux huiles des conseils de ministres et des gouvernements en général. Il prend racine dans le terreau qu'est le représentant de première ligne, le député.

Le député qui déchiquète un dossier de citoyen avant son aboutissement garantit la paralysie du cheminement de la problématique concernée pendant des mois, sinon des années, avant que le successeur en titre puisse le reconstituer et le réactiver. Il le fait pour des motifs égoïstes, reniant son serment d'office de servir ses concitoyens. Il choisit très consciemment de leur nuire.

On pourrait prétendre que le député «commet un méfait quiconque, volontairement... détruit ou modifie des données» (article 430 (1.1) a) du Code criminel). Le fait qu'une personne possède un intérêt partiel dans ce qui est détruit ne l'empêche pas d'être coupable de l'infraction, précise l'art. 429 (3). Qu'on se rassure, je ne prône pas ici de mettre en accusation nos députés de tous partis qui ont commis ce minable larcin politique au fil des renversements de gouvernement. Je veux cependant mettre en lumière que le geste est contre-productif, néfaste, condamnable et qu'il doit être dorénavant proscrit, comme il aurait dû l'être depuis des lustres.

Les autres mandataires professionnels, comme les avocats, ont l'obligation de conserver leurs dossiers pendant au moins sept ans. Les députés ne sont pas au-dessus des lois, ni des normes généralement reconnues d'éthique publique. Que le geste soit légal ou non importe peu. Si les députés veulent se valoriser à l'aune du respect, qu'ils s'attaquent d'abord à leurs propres comportements dérogatoires.