Il y a bientôt 25 ans que je suis impliqué dans le monde de l'inspection des viandes, d'abord comme vétérinaire inspecteur, puis comme chercheur et professeur des futurs inspecteurs vétérinaires, et, beaucoup trop rarement, des inspecteurs actuels. Il convient de mettre en perspective l'épisode du boeuf contaminé.

Chaque année au Canada, des centaines de personnes sont malades après avoir ingéré du boeuf ou d'autres aliments contaminés par E. coli O157: H7. Des milliers d'autres sont affectés par des infections reliées à des aliments contaminés par d'autres microbes, comme la salmonelle ou le Campylobacter. Alors pourquoi s'alarmer pour quelques cas regroupés en Alberta et en Saskatchewan?

À l'évidence, la crise d'XL Foods est beaucoup plus une crise politique et médiatique qu'une éclosion significative si on la compare à des épisodes beaucoup plus graves comme celui de la désormais célèbre crise de listériose.

La réaction des autorités - le plus grand rappel de produits carnés de l'histoire du pays - est aussi démesurée que celle des partis de l'opposition, elle-même alimentée par la grogne des syndicats. Dans cette histoire, l'Association canadienne d'inspection des aliments (ACIA) n'a pas indûment tardé à réagir. Elle a réagi dans un premier temps à la hauteur de l'ampleur de l'incident.

Par la suite, devant le cirque médiatique et politique que cet épisode a entraîné, elle n'a eu d'autre choix que de prendre des mesures extrêmes pour rassurer la population. Comme cela fait partie de son rôle de conserver la confiance des Canadiens, il n'y a rien à redire à cela, même si c'est sans doute un gaspillage éhonté, tant au niveau financier que de celui des denrées alimentaires.

Pour ceux qui s'indignent de la lenteur de l'enquête de l'ACIA, il faut savoir que la bactérie en question présente un défi particulier au niveau méthodologique. Elle contamine en général une très faible proportion des produits dans une usine de transformation. Retrouver sa trace et distinguer les produits contaminés de ceux qui ne le sont pas est beaucoup plus difficile que dans le cas d'autres bactéries comme Listeria ou la salmonelle.

Comment se fait-il alors qu'on a la curieuse impression que ce type d'épisode devient plus fréquent alors que paradoxalement, le niveau de contamination des viandes tend à s'améliorer? Simplement parce que la structure de l'industrie a beaucoup changé. Il y a beaucoup moins de transformateurs et ceux-ci distribuent le produit à beaucoup plus de gens. Quand il y a contamination, celle-ci est plus facile à identifier, car les cas peuvent être plus facilement reliés entre eux et à une source de contamination. Votre petite épicerie du coin qui fait affaire avec l'abattoir local est-elle plus sécuritaire? Rien n'est moins sûr. Mais peu de gens seront malades en cas de contamination et personne ne fera de lien.

Doit-on accepter benoitement que des milliers de Canadiens puissent être affectés chaque année par ce type d'infection? Bien sûr que non.

Pour améliorer la situation, il est nécessaire de réformer nos systèmes d'inspection, tant au niveau provincial que fédéral, de mieux former les inspecteurs et de donner les outils nécessaires à ceux-ci. De nouvelles lois et réglementations pour mieux utiliser les inspecteurs actuels sont proposées par le gouvernement fédéral et constituent sans doute un pas dans la bonne direction.

Ce n'est pas tant la question du nombre d'inspecteurs qui importe, mais leur formation et les moyens qu'on leur donne. Qu'on ne se trompe pas, il y a bel et bien eu des coupes dans le budget de l'ACIA. Une mauvaise idée.

D'ici à ce que le système d'inspection soit réformé, la viande de boeuf n'est ni plus ni moins dangereuse qu'elle ne l'était il y a un mois. De temps en temps, elle peut être contaminée sans que ce soit détectable. Cela n'a rien à voir avec son odeur ou sa texture ni avec le fait qu'elle soit «biologique» ou pas. La viande, pas plus que les autres aliments, ne sera jamais stérile. Pourtant, avec les précautions habituelles - une bonne cuisson et un lavage des surfaces et ustensiles qui ont touché au produit cru -, le danger est facile à contrôler. Gardez-vous quand même une petite réserve pour quelque temps pour le boeuf tartare!