Au fil des années, il m'est arrivé assez souvent de lire des textes portant sur l'attitude du corps médical face à la douleur, face à la souffrance extrême. J'éprouvais alors beaucoup de compassion et de sympathie pour les personnes devenues des «foyers» ou des «centrales» de douleur et de souffrance, une souffrance souvent chronique et incurable.

Il y a à peu près dix mois, je suis subitement tombé par l'avant, sans raison visible ou claire, sur un trottoir. Il était 10 heures du matin. Je déambulais allègrement sur le Chemin de la Côte-Sainte-Catherine près de l'édifice des HEC. J'ai d'abord pensé, avec un certain catastrophisme, que quelqu'un m'avait donné un violent coup dans le dos avec une barre de fer ou un bâton. Mais il n'y avait personne derrière moi. En fait, j'ai appris, après ce pénible épisode, que j'avais subi un spasme musculaire de très forte intensité.

Comme j'étais déjà soigné par un rhumatologue, je l'ai consulté et il a «cru» diagnostiquer ce drôle de mal qu'on appelle la fibromyalgie, maladie qui, si j'ai bien compris, s'attaque au système musculaire. Un médecin que je connais assez bien conteste ce diagnostic, ce qui est troublant. Quoi qu'il en soit, ça fait presque un an que j'ai toujours mal (à des degrés variables) et que je dois marcher avec une canne, ce qui ne m'a pas empêché de dégringoler des escaliers à trois reprises et de parfois tomber.

Malgré toute la bastringue pharmacologique que je dois avaler péniblement chaque jour, j'ai toujours de plus en plus mal et j'en ai ras le bol. Le matin, ça prend une heure ou plus avant que je puisse marcher de manière presque «normale», avec ma bonne vieille canne tant appréciée qui se doit de me suivre partout.

Comme j'aime beaucoup Baudelaire, j'ai utilisé, «piraté» et trafiqué son poème intitulé Recueillement pour exorciser un peu cette maudite douleur permanente: Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille/Tu m'en as fait voir de toutes les couleurs, sans gentillesse ou douceur/Et moi, je ne crois plus à ces vauriens appelés docteurs/Ces mauvais connaisseurs qui me donnent de la rancoeur. Il va de soi que seul le premier vers vient du grand Charles.

Il m'arrive aussi de réciter à voix basse ce terrible vers du grandiose Baudelaire: Ô Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!

J'évite de faire appel à la «vieille faucheuse» grâce à l'amour (cela fait plus de 21 ans que je vis avec la même compagne, la succulente Madeleine), et aussi grâce à quelques amitiés vraiment durables et sincères. Qui plus est, j'aime voyager (surtout en Catalogne et à Barcelone, là où vivent de très bons amis), écrire, lire et faire bombance et ripaille avec ma compagne et mes amis. Il me reste donc de multiples raisons de vivre, de ne pas couper le fil de ma vie et de ne pas passer l'arme à gauche. J'espère que cette attitude va perdurer.

Mais je me pose interminablement la question que voici: la médecine est-elle totalement impuissante face à la douleur chronique, face à l'extrême douleur? Mon médecin rhumatologue m'a dit à plusieurs reprises, avec un petit sourire indéchiffrable et hermétique, qu'il est normal de souffrir lorsque la fibromyalgie a fini par prendre possession de ton corps, de ton «âme», de tes muscles et de ta vie.

La souffrance, souvent extrême, est-elle obligatoire et inévitable? Et la médecine est-elle totalement impuissante? «That is the question!»