M. Pratte, votre éditorial réduit la transaction Bell-Astral à une simple confrontation avec Québecor, ce que je ne puis, avec respect, accepter.

Cette transaction créerait une entité verticalement intégrée qui détiendrait 40,2% de tous les auditoires télévisuels canadiens. Ce chiffre est basé sur les statistiques publiées par le CRTC récemment, conformément à la méthode qu'il a sélectionnée pour mesurer la diversité des voix au Canada.

L'étude réalisée par le Dr Roger Ware (Queen's University) et Analysis Group pour Cogeco Câble confirme que ce niveau de concentration dans la télévision privée placerait tristement le Canada au deuxième rang de la concentration la plus élevée parmi les pays du G8, après l'Italie, une situation aussi inacceptable que préoccupante pour la démocratie. Les pays européens et les États-Unis s'en tiennent plutôt à des seuils d'entre 18% et 26%.

Sur le plan de la radio, Bell détiendrait 107 stations, comptant pour 44% de toute l'écoute radiophonique de la radio de langue anglaise au Canada. Encore une situation clairement préoccupante pour l'intérêt public.

Bell affirme que ces niveaux de concentration sont acceptables selon les barèmes du CRTC. Nombreux sont les intervenants qui sont plutôt d'avis qu'ils constituent un risque élevé. La politique sur la diversité des voix de 2008 a été écrite alors qu'il n'existait pas d'intégration verticale au Canada autre que Vidéotron-TVA, une situation entérinée par le CRTC en 1987, strictement à cause de la précarité du fait français en Amérique. Le gros bon sens et l'intérêt public doivent toujours primer en bout de piste, surtout lorsque les barèmes sont dépassés par les événements.

Bell affirme avoir besoin de cette taille pour contrer les Netflix de ce monde. Or le CRTC a conclu en avril 2012 que ce phénomène ne constitue pas une menace. Pas étonnant quand on sait que Netflix recueille moins de 1,5% des heures d'écoute de la télévision au Canada. Il ne faudrait quand même pas prendre des vessies pour des lanternes!

Au cours de l'audience, le Dr Ware a également décrit les abus de position dominante qui découlent présentement de l'intégration verticale sur les distributeurs concurrents situés en aval relativement aux chaînes déjà détenues par Bell. Cogeco, Telus, Rogers, Vidéotron, Eastlink et spécialement les petits câblodistributeurs (CCSA) ont également témoigné dans ce sens. VMedia a témoigné que Bell l'empêche en fait de démarrer une entreprise concurrente à Toronto. Imaginez l'abus qui résulterait de l'ajout des chaînes d'Astral!

Vendredi dernier, la Société Radio-Canada a décidé de contester les représentations de Bell face aux avantages qu'elle invoque pour cette transaction. Le Bureau de la concurrence a aussi exprimé des réserves. Il s'agit là d'expressions d'inconfort très significatives et sans doute d'intérêt pour vos lecteurs.

Nous n'avons pas à nous porter à la défense de Québecor, ils sont assez grands pour le faire eux-mêmes. Nous pouvons également comprendre que les vicissitudes de la concurrence au Québec causent des problèmes aux concurrents de cette dernière. Mais deux maux ne font pas un bien et les consommateurs canadiens n'ont pas à faire les frais de la diminution de concurrence qui résulterait de cette transaction. Quand de nombreux témoignages pointent dans la même direction, il est profondément injuste de les évacuer simplement parce que Québecor fait siennes ces représentations.

En somme, assez, c'est assez! À l'heure qu'il est, tous les groupes de consommateurs et plus de 60 000 consommateurs canadiens et québécois ont manifesté leur opposition à la remonopolisation des télécommunications et à la création d'un super conglomérat. Dans le plus grand intérêt public, le CRTC et le commissaire de la concurrence doivent tout simplement dire non à cette transaction.