À l'automne 2006, dans une épicerie, très pressé, au tournant d'une allée, je me retrouve soudainement face à face avec un chariot poussé... par le premier ministre Jean Charest, accompagné de son épouse Michèle. Moi, surpris et embarrassé, eux, souriants, aimables et plutôt amusés.

Vingt minutes plus tôt, à la radio, j'avais entendu quelques extraits d'une allocution prononcée le matin même par notre premier ministre sur les possibilités d'ouverture de notre système de santé au privé à la suite de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Chaoulli.

Après les avoir salués, me semblant obligé de dire quelque chose et surtout de me sortir de cette situation inconfortable, je fais allusion au jugement. M. Charest aurait pu se contenter d'acquiescer, en rester là et continuer. Au contraire, il me demande ce que j'en pense. Je trouve cela intéressant, mais dans cette ouverture au privé, il m'apparaît important d'inclure le mouvement coopératif. Nous avons quelques coopératives de santé, me répondit-il. Je sais, lui dis-je, mais c'est plutôt tout un réseau qu'il nous faut. Peut-être surpris, mais semblant plutôt ouvert à cette suggestion, d'un regard, il m'invite à préciser. Je lui avance quelques points qu'au moins en apparence il a écoutés avec attention. Je lui propose, un peu rapidement, de lui produire un document sur le sujet. Il m'encourage à le faire, m'assurant de son intérêt. Après avoir présenté mes excuses à son épouse - de toute évidence habituée, souriante et aimable -, pour avoir ainsi perturbé son emploi du temps, nous poursuivons notre chemin.

Dans une épicerie, donc, on y rencontrait même un premier ministre. De la sécurité dans ce magasin peu achalandé en ce milieu d'après-midi, il ne semblait y avoir que l'employé de l'épicerie.

Personnellement - et je ne suis certainement pas le seul -, je trouve extraordinaire et tellement impossible et incroyable sous bien des cieux qu'un simple citoyen, au cours d'une activité on ne peut plus banale, puisse ainsi échanger des propos avec son premier ministre et surtout avoir son attention, en toute simplicité.

Mais ceci n'est fort probablement que le souvenir d'une époque révolue.

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Lors de la campagne électorale qui vient de s'achever, les libéraux ont dû trouver des endroits inhabituels pour tenir des points de presse dans un climat serein, de façon à éviter la traque des rouges. Cela semblait amuser, pour ne pas dire plaire à un trop grand nombre de journalistes et de commentateurs, mais c'était surtout trop facilement accepté par la population.

Pour tenir son congrès, le Parti libéral a dû se déplacer de Montréal à Victoriaville. Ce n'était pas suffisant, une organisation efficace d'opposants y a déployé les troupes nécessaires, y compris deux autobus de casseurs, pour tenir le siège.

Douteuse et inquiétante, cette liberté d'expression qui prétend s'exprimer en entravant celle de l'autre. Se prétendant pacifique parce que sans intention affichée de recourir à la violence physique, alors qu'il n'y a là que violence brutale. Tout comme le harcèlement au travail, le harcèlement sexuel peut être d'une violence brutale sans être physique.

En novembre 2011, l'Institut du Nouveau Monde - un organisme plutôt de centre gauche et certainement pas dans la mouvance du gouvernement libéral - tient un colloque sur la santé dont le seul but était d'échanger sur les problèmes et les solutions possibles dans le meilleur intérêt de tous. Lors de la deuxième journée, une cohorte de la mouvance Québec solidaire - faisant plutôt penser à Québec totalitaire - s'est invitée dans un tintamarre assourdissant, s'imposant de facto entre les conférenciers et l'auditoire pour nous servir un prêchi-prêcha incendiaire. N'ayant d'autre choix, les conférenciers et les participants ont quitté la salle.

Il n'y aurait là évidemment que la simple manifestation d'un droit d'expression si légitime, on ne peut plus pacifique, dans une démocratie vivante et dynamique.

Il n'y a là au contraire que démagogie, intolérance, hypocrisie, violence brutale et agressive - surtout pour les tympans et le cerveau - résurgence inquiétante d'un totalitarisme qu'on pensait, avec la chute du mur de Berlin, disparu à jamais.

À force de semer le vent, on récolte la tempête. Dans ce climat, il ne suffit que d'un pas de plus. Ce pas, le 4 septembre, a été franchi. Plus jamais, ce ne sera comme avant.