J'ai longtemps eu peur de la maladie et de la vieillesse. L'idée de souffrir suffisait à faire naître en moi de profondes angoisses. Mais ces peurs ne sont rien maintenant à côté de celle que j'ai envers le système de santé du Québec.

Je ne parle pas ici de mon histoire personnelle, mais de celle de ma belle-mère qui a plus de 80 ans. Une femme remarquable, vive, cultivée et intelligente. Une femme qui a eu le malheur d'être hospitalisée dans un hôpital du Grand Montréal.

Ses malheurs ont commencé dès le transport en ambulance. La civière ne pouvait être attachée dans le véhicule. Chaque départ ou accélération, la civière venait frapper dans la porte du véhicule. Le technicien ambulancier retenait tant bien que mal la civière avec son pied.

À l'urgence, on la met sur une civière brisée. Ma conjointe demande à un infirmier l'état de sa mère. C'est un stressé qui refuse de lui répondre, l'engueule et s'en va.

Les prises de sang de belle-maman sont mal étiquetées. On doit les reprendre. Évidemment, d'ici là, on ne peut lui donner les calmants nécessaires qui apaiseraient la terrible douleur qui l'envahit. Entretemps, des membres du personnel infirmier lui reprochent d'attendre avant de demander une médication contre la douleur. Personne n'entend qu'elle n'y est pour rien: le médecin ne viendra que plusieurs heures plus tard. Il prescrit, mais cela prendra encore plusieurs heures avant que la pharmacie ne vienne livrer les médicaments. Avoir su, j'aurais pris la prescription et serais allé dans une pharmacie du coin, cela aurait sauvé des souffrances inutiles à un être cher.

Et toujours ce reproche: «N'attendez pas d'avoir une trop grande douleur avant de demander votre médicament!» Youhou! On vous dit qu'on attend le médicament!

Ah oui! 24 heures après son arrivée, un préposé apporte une civière convenable.

Quand ma belle-mère est envoyée dans une chambre au 9e étage, l'infirmière est brusque et n'écoute pas quand elle lui dit qu'elle a mal au ventre. Ce n'est que lorsque belle-maman exprime son irritation qu'on prend la peine de l'écouter un peu.

Un soir, vers 22 heures, une infirmière auxiliaire et un préposé aux bénéficiaires ont décidé de jouer à la cachette dans les chambres des patients. Sans compter le stress d'être malade, s'y ajoutait celui d'entendre des éclats de voix soudains ou de voir surgir brusquement dans le noir des idiots d'âge mûr qui s'amusent alors que les cloches sonnent et qu'ils n'y répondent pas. La chose a duré deux heures, pendant lesquelles belle-maman attendait qu'on réponde à son appel parce que les nombreux tubes par lesquels les médicaments étaient distribués s'étaient emmêlés. Les deux employés ne seront pas sanctionnés après notre plainte à la responsable du service. Le lendemain, nos deux hurluberlus contrits viennent s'excuser mollement. Ce n'est pas cher payer pour un tel comportement.

Une infirmière vient pendant la nuit, allumant la lampe de plafond, réveillant à la fois belle-maman et sa voisine confuse. Pourquoi utiliser la lampe de poche prévue à cet effet quand il n'y a qu'à allumer le luminaire et puis, tant pis si ça réveille les patients? Mais ce n'était pas tout. Elle l'a piqué six fois dans le bras alors qu'elle a deux appareils pour injection (le papillon et le pick-line) qui sont prévus à cet effet. Encore une fois une intervention douloureuse et inutile.

Le matin, ma conjointe se révolte. Deux préposés sont venus à la chambre pour emmener belle-maman en salle d'opération. Ils lui ont demandé de se lever et de marcher jusqu'à la porte de la chambre. Belle-maman est très affaiblie et souffrante. Sa fille leur suggère de la mettre sur la chaise d'aisance à roues et de l'amener ainsi jusqu'à la porte. Les deux préposés n'y avaient pas pensé.

Quelques jours plus tard, de retour à la maison, elle a du sang dans son pansement. L'infirmière à domicile de garde arrive vers 18h, visiblement très heureuse de nous signaler qu'elle n'a rien sur elle pour prendre la température, les signes vitaux, le pouls, rien! Elle n'a pas voulu enlever le pansement. Elle est allée au plus simple: l'hôpital!

À l'hôpital, évidemment, on constatera que c'était peu de choses et que l'infirmière aurait pu gérer le problème à domicile. Plusieurs heures d'attente. Des patients partout dans les corridors de l'urgence. Une médecine de guerre. Belle-maman n'a même pas de rideau pour avoir un peu d'intimité. Sa civière est adossée à une porte. Belle-maman demande qu'on change son sac de stomie. Pas besoin, lui répond une infirmière, il y a de l'air dedans. Elle appuie sur le sac et fait gicler une bonne quantité de matières fécales qui souillent ma belle-mère: bonne idée!

Une autre fin de semaine, il y a eu confusion dans les services à domicile. Belle-maman doit recevoir une injection vitale et personne ne semble au courant. Nous appelons le service téléphonique du réseau qui nous dit qu'on ne peut joindre l'infirmière de garde pour qu'elle transmette le message à l'infirmière en service la semaine. Nous avons été obligés d'appeler au 811, réservé aux semi-urgences pour faire le message à la coordonnatrice de garde.

Re-hospitalisation de belle-maman à la suite d'une infection importante de la plaie. Elle attend toute la journée pour son scan. On lui donne son iode et on attend, on attend, on attend. On la fait tellement attendre qu'il faut lui redonner de l'iode pour faire l'examen. Après la nouvelle chirurgie, il est indiqué de la mettre assise dans son lit 15 minutes malgré sa grande faiblesse. La préposée la laisse là une heure et demie. Personne ne répond à la cloche, ni à celle du voisin dont l'appareil de gavage est bouché, les visiteurs de ce dernier ne trouvent personne au poste de garde pour remédier à la situation.

Le lendemain, elle demande son médicament antidouleur à 8h. On lui donne à midi. «Faut pas attendre d'avoir trop mal, ma p'tite madame, pour demander votre médicament». Il n'y a pas que la maladie qui tue, le ridicule aussi.

Je ne sais pas quel parti formera le prochain gouvernement, mais je sais que si je tombe malade et qu'on me dit que je vais à cet hôpital, à tout prendre, je préfère mourir à la maison de la maladie que d'être tué par le système de santé.