L'occasion était belle, les circonstances judicieusement choisies et le projet plutôt rusé. Il faut saluer l'esprit d'initiative des grands stratèges du gouvernement qui ont accouché de l'idée de déclencher des élections en plein été.

Je soupçonne les libéraux de miser sur l'atmosphère de farniente qui règne en cette courte et belle saison et d'espérer que, bien engourdis et ralentis par la chaleur, les vacances et le repos, nous n'accordions aucune attention aux questions électorales si peu compatibles avec l'insouciance estivale actuelle.

L'objectif inavoué de cette démarche bien réfléchie est qu'au matin du 5 septembre prochain, le Québec se réveille avec un gouvernement libéral majoritaire à nouveau au pouvoir sans que nous ayons aperçu le train passer.

Devant notre méconnaissance des enjeux et des programmes de chacun des partis sur les sujets chauds, nous pourrions en effet choisir le confort et la sécurité de nos vieilles pantoufles bien qu'elles soient depuis longtemps trouées et nous blessent les orteils. Dans le doute, nous opterions probablement pour la continuité, repentants de n'avoir pas suivi les développements de la campagne électorale et d'avoir omis d'explorer les alternatives. Au statu quo, nous serons alors condamnés et voilà le plus ardent désir du Parti libéral.

Il s'agit pourtant d'un piège insidieux dans lequel il faut à tout prix éviter de tomber. On nous invite à nous gaver de pain et de jeux tout en négligeant la joute politique qui se déroule sous nos yeux. S'il faut admettre que la première activité est de loin plus divertissante, c'est à travers la deuxième que se joue notre avenir.

Mon plus cher souhait en ce début de campagne électorale est de nous voir contourner ce piège généreusement tendu par nos élus, de faire un pied de nez à la sournoise invitation qui nous est lancée de tourner le dos à cette campagne et de faire mentir les prédictions des tireurs de ficelles en nous investissant massivement dans cette campagne électorale.

Cette dernière nous offre la chance de nous lever, de nous exprimer, de confronter les candidats à leurs contradictions et leurs faiblesses, de questionner leurs promesses, de vérifier leur intégrité, d'analyser et de comparer les programmes des partis.

Si nous ne saisissons pas cette précieuse occasion, qui ne passe qu'aux quatre ans, personne ne le fera à notre place et nous perdrons notre droit de contester, revendiquer et nous plaindre une fois le gouvernement élu. Il s'agit d'un privilège dont nous avons tout intérêt à profiter.

Évidemment, l'exercice proposé exigera un effort intellectuel que nous n'avions sans doute pas prévu fournir en cette période de l'année. Je conçois que certains plans puissent être bouleversés et que nous devrons éventuellement choisir entre le débat des chefs et un verre de sangria sur une terrasse; mais la faculté d'adaptation et de compromis est une qualité qui se cultive, particulièrement en saison électorale.

Et le jour venu, entre le deuil des vacances déjà terminées et les obligations de la rentrée, il faudra aussi sortir voter. Il sera temps d'exercer les droits que nous confère cette démocratie que nous avons récemment vantée, scandée et chantée, carrés rouges à la poitrine et casseroles aux mains.

Dans l'intervalle, ayons le courage, le cran et l'audace  de nous intéresser à la joute politique qui s'amorce et qui promet d'être, à l'image de notre météo, chaude et humide.