En septembre 1841, le procès de John C. Colt pour le meurtre d'un imprimeur new-yorkais est le théâtre d'une étrange démonstration. Le frère de l'accusé, Samuel Colt, inventeur du revolver à six coups, démontre en tirant un coup que John n'a pas pu utiliser un de ses revolvers pour commettre son meurtre et que seule une hachette a servi à tuer le pauvre imprimeur.

Il est difficile de comprendre la volonté de Samuel Colt de faire cette démonstration, qui n'a en rien disculpé son frère, à moins de connaître son ingéniosité en terme de publicité. Une démonstration d'arme en pleine cour durant un procès très médiatisé, voilà qui allait attirer l'attention!

Cette ingéniosité est le reflet d'une période durant laquelle des pionniers dans le domaine de l'arme à feu ont, afin de vendre leur production, créé une mythologie publicitaire associant l'Amérique au revolver.

Contrairement à ce qu'affirment les lobbys des armes à feu, la popularité de ces armes aux États-Unis ne date pas de la fondation du pays, mais plutôt de la décennie précédant la Guerre de Sécession (1861-1865) et celles qui l'ont suivie, moment où une population brutalisée par la guerre, en pleine conquête de l'espace continental, a accès à des armes personnelles produites en série par une industrie en quête de consommateurs.

Les industriels ont tout d'abord créé des procédés de fabrication rendant les armes à feu moins coûteuses et disponibles. Plus important encore, ils ont créé une mythologie entourant leurs produits afin de mieux écouler la production. À cet égard, Samuel Colt (1814-1862) a un rôle déterminant. Le revolver à six coups qu'il invente dans les années 1830 est une arme à répétition facile à cacher. Son utilisation, vu le nombre de coups disponibles, ne requiert pas de véritable entraînement. Cependant, l'arme n'a pas d'utilité pour la chasse et ne sert donc qu'à la défense personnelle. La société étant en paix, ceci explique que malgré toutes les qualités de son invention, Colt n'arrive pas à vendre sa production, l'armée américaine rejetant ses armes jusque dans les années 1850.

Ce dont Colt avait besoin à ce moment-là était un marché civil. C'est ici que son génie en marketing va se manifester. En effet, Colt a l'idée de faire de ses revolvers, malgré une production en série, des objets pouvant être individualisés afin d'en faire des oeuvres d'art plutôt que de simples armes. Il fait décorer ses revolvers de symboles patriotiques ou de créatures mythiques. La personnalisation de ces objets utilitaires des symboles d'élite va éventuellement faire l'objet de la convoitise de l'ensemble de la population.

Colt a aussi l'autre idée de génie d'associer ses armes aux pionniers qui partent peupler la frontière de l'Ouest. Les journaux et magazines sont inondés de publicités dans lesquelles on parle de vaillants pionniers défendant leur famille contre des «sauvages» et autres dangers de la frontière. Graduellement, dans la culture américaine se développe l'association revolver et frontière, celle-ci étant un symbole de liberté, d'avancement de la civilisation, d'affrontement avec des ennemis de la nation (les Amérindiens en particulier), le moyen par lequel le rêve américain se réalise.

L'association que Colt et ses homologues ont réussi à établir entre l'individualité américaine et la possession d'un revolver aura favorisé la création d'une culture de l'arme à feu.

Encore aujourd'hui, malgré les tristes événements qui ponctuent l'actualité américaine, cette association reste forte chez une partie de la population, ce qui explique non seulement le nombre d'armes en circulation, mais aussi l'âpreté avec laquelle certains groupes défendent le droit de posséder et porter celles-ci.

Plus que jamais, l'idée d'une individualité liée à la possession d'une arme est présente dans l'environnement médiatique américain.

Cependant, il n'y a pas que lors d'événements spectaculaires, comme à Aurora, que la culture de l'arme à feu se manifeste: le 23 juillet dernier, un homme cherche son portefeuille chez Walmart à Dallas et prend par erreur son pistolet qu'il échappe par terre: quatre blessés, dont une fillette et un garçon de 5 ans. C'est dans le quotidien que l'individualité de l'arme à feu se manifeste le plus durement.