Lors de la journée d'olympiades de la fin de l'année, un programme d'activités et d'épreuves physiques diversifié permettant aux élèves de mettre en évidence leurs aptitudes motrices avait été concocté. Au milieu de l'avant-midi, une enseignante de 5e année s'est présentée à moi, un peu déboussolée, ne sachant pas comment réagir devant les piètres résultats obtenus par les jeunes à l'épreuve de saut en longueur dont elle avait la charge. À partir d'une grille que je lui avais fournie, elle devait noter sur cinq la longueur de chacun des sauts.

«Les cibles à atteindre sur ta grille sont nettement supérieures aux performances des élèves, m'a-t-elle confié. Rares sont ceux qui obtiennent plus de deux points après deux essais!»

Ce que la grille ne disait pas, c'est que les cibles en question avaient été établies il y a 20 ans à partir des performances de mes élèves de l'époque, pendant leurs cours d'éducation physique. Dans le même quartier. À la même école.

J'ai beau tenter d'analyser cette anecdote sous tous ses angles, j'en arrive toujours à la même conclusion. Nous ne sommes plus simplement devant un problème de tours de taille proéminents ou d'endurance cardiovasculaire. Les dommages sont en effet beaucoup plus étendus qu'ils ne le paraissaient initialement puisqu'ils font aussi ressortir des lacunes du point de vue de la coordination motrice des jeunes. En somme, cela ne fait qu'illustrer la négligence proverbiale de nos élus entourant l'éducation physique dans les écoles québécoises au cours des dernières décennies et, évidemment, les conséquences de l'adhésion massive des jeunes aux loisirs passifs.

Le simple saut en longueur en question, d'apparence si banale, est en fait une succession d'actions impliquant le jugement, l'adaptation à l'environnement, la vitesse, la puissance, l'agilité, la justesse motrice et, par dessus tout, la capacité d'en coordonner l'ensemble afin d'obtenir le résultat optimal escompté. Dans les faits, toutes les activités physiques et sportives requièrent de la coordination motrice si l'on a plus ou moins le souci de la performance, source de satisfaction personnelle chez les jeunes en particulier. Lorsque ceux-ci n'obtiennent pas ces petits succès, qu'ils ne se sentent pas «compétents» dans la pratique d'une activité physique, ils n'éprouvent plus de plaisir à y prendre part et finissent par la délaisser - exactement le contraire de ce qu'on souhaite! - ce que l'adulte est moins enclin à faire.

Le problème demeure donc entier. Les nombreux événements et initiatives des organismes voués à la promotion des saines habitudes de vie ne suffiront pas à instaurer une culture de la santé sans une action concertée de tous ceux et celles qui travaillent auprès des jeunes, ce qui inclut nécessairement l'école. On ne peut donc pas se contenter de vouloir faire «bouger» encore davantage les jeunes, même s'il s'agit de la voie privilégiée depuis toujours par le gouvernement, puisque trop de petits corps, et de moins petits, ont carrément oublié comment s'y prendre.

Alors que des élections générales paraissent imminentes, l'idée de placer enfin la santé physique et mentale de tous les jeunes au coeur des programmes électoraux des principaux partis devient capitale. C'est un discours qui dérange parce qu'il oblige les personnes visées à faire davantage qu'émettre de simples opinions favorables à l'adoption de saines habitudes de vie. Dans ce contexte, garantir à tous un minimum décent d'éducation physique dans les établissements scolaires représente une belle occasion pour les principales formations politiques de se montrer visionnaires, audacieuses et réellement branchées sur les besoins d'une société qui évolue.