L'homme d'affaires Tony Accurso, accusé de fraude, a récupéré son passeport. On lui permet de quitter le pays dans l'attente de son procès. Le geste, qui en soi paraît anodin, est en réalité une nouvelle aberration de notre système de justice qui, une fois de plus, démontre son indulgence outrancière envers les criminels à cravate ou ceux qui sont soupçonnés de l'être.

La décision a apparemment été prise après que l'accusé ait fait valoir que son travail l'amenait souvent à voyager. C'est donc par respect pour les activités professionnelles de Tony Accurso qu'on lui permet de conserver sa pleine liberté. Or, ces activités ne seraient-elles pas précisément ce qu'on lui reproche? N'est-ce pas justement dans le cadre de son travail que M. Accurso aurait commis les actes qui l'ont amené devant le tribunal?

Accepterait-on qu'un professeur d'éducation physique reprenne son travail auprès d'enfants du primaire alors que pèsent sur lui de graves accusations d'agressions sexuelles? Ou encore qu'on rende son permis de conduire à un individu accusé d'avoir causé un accident mortel sous l'effet de l'alcool? Bien sûr que non, puisque cela reviendrait à leur laisser en main tous les outils nécessaires pour répéter les actes dont ils sont accusés. C'est pourtant une décision semblable que le juge vient de rendre dans le cas de Tony Accurso en lui donnant tous les moyens de poursuivre des activités dont l'honnêteté est légitimement mise en doute.

Quand donc cesserons-nous d'avoir pitié des criminels à cravate et de ceux qui sont accusés de l'être? Est-il à ce point inconcevable qu'un homme accusé d'avoir escroqué nos gouvernements, et par conséquent l'ensemble des contribuables, pour des montants totalisant des millions, si ce n'est des milliards de dollars, soit privé temporairement d'exercer ses activités? Il suffit de jeter un coup d'oeil au yacht de M. Accurso pour comprendre que des vacances forcées ne placeraient pas sa famille dans l'indigence. Pour quelle raison alors fait-on passer ses «besoins» avant les intérêts de la collectivité?

Si la majorité des gens, limités dans leurs moyens, doivent normalement limiter la durée de leur procès, une minorité d'individus ont les moyens non seulement d'embaucher les meilleurs avocats pour les représenter, mais également d'éterniser leur cause en multipliant les procédures et les appels.

À défaut de se forger un verdict d'innocence, les fraudeurs ont souvent les moyens d'abuser du système, de retarder leur sentence et de minimiser leur peine. Le plus ironique est que comme il ne viendrait pas à l'idée d'un juge de confisquer les avoirs d'un présumé fraudeur, l'accusé peut assurer sa défense en puisant dans ses coffres remplis de cet argent mal acquis. Or, si le système permet au démuni d'avoir droit à une défense respectable malgré son absence de moyens, pourquoi n'empêcherait-il pas aux riches de ridiculiser la justice à grands coups de chèques?

Nous aimerions tous croire que nous vivons dans une société où la justice est la même pour tous. Hélas, l'innocent pauvre et le millionnaire coupable ne seront jamais égaux devant le juge. Tony Accurso ne serait pas le premier à démontrer ce triste état de fait et ne serait certainement pas le dernier. Combien de temps encore tolérerons-nous cette aberration en nous disant qu'on ne peut rien y changer?