Au cours d'un débat organisé récemment par l'Institut des administrateurs de sociétés (section Québec), environ 300 chefs de file d'affaires se sont mis d'accord sur le fait que les sièges sociaux abritent les emplois les plus influents, les plus payants, les plus créateurs de valeur et de richesse collective.

Pour nos diplômés universitaires, ils ouvrent des occasions de carrière de haut niveau. Cela veut dire plus d'impôts des corporations et des particuliers qui payent pour la santé, l'éducation, les infrastructures. Cela veut aussi dire plus de fonds pour le soutien aux organismes à but non lucratif, incluant la culture et les arts.

On a vu au cours de la dernière décennie partir un à un des sièges sociaux d'entreprises dont nous étions fiers. Ces départs suivaient l'exode des banques et institutions financières, de l'industrie pétrochimique et de nombreuses autres sociétés d'importance. Et cela sans que le milieu des affaires, les chefs politiques, les économistes, les syndicats et étudiants ne fassent beaucoup plus que de constater notre impuissance face aux forces des marchés financiers.

Voilà une belle excuse! Lorsque ces entreprises ont été vendues ou que leur siège social a déménagé, on en a parlé beaucoup moins que de la performance de notre Canadien de Montréal. Où étaient les étudiants qui manifestent aujourd'hui? Les enjeux financiers de la perte d'un siège social sont pourtant des centaines de fois plus importants pour eux et pour les générations à venir que la hausse des droits de scolarité.

Il y a une question taboue qui conditionne le climat dans lequel la perte nette des sièges sociaux s'est produite (aucun panéliste n'a osé le soulever lors du débat organisé par l'Institut des administrateurs de sociétés). Il s'agit du dogme au sujet de la langue. Certes, les moyens pris par les francophones du Québec pour prendre la place qui nous revenait dans les affaires étaient peut-être adéquats il y a 40 ans. Cependant, en refusant de les adapter, nous avons détruit de grands pans de notre économie. À mon avis, la meilleure façon de protéger notre culture, c'est d'abord de créer de la richesse. Le glissement vers la pauvreté est le chemin inéluctable vers l'assimilation.

Encore aujourd'hui, on semble avoir peur de l'anglais, qui est pourtant, sans contredit, la langue universelle des affaires. On en avait peur lorsque j'étais aux HEC à Montréal il y a 35 ans. Comme étudiants, nous exigions que les livres des auteurs anglophones soient résumés en français. La polémique sur les cours de MBA en anglais aux HEC me porte à penser que certains refusent toujours de s'ouvrir à cette réalité.

On ne peut pas vivre éternellement dans un village gaulois. Il faudrait assouplir certaines règles coercitives concernant le français et ainsi recréer un climat de société ouverte et de communauté inclusive. De telles mesures ne feraient pas revenir d'un coup les sièges sociaux, mais contribueraient à développer au Québec une attitude accueillante où des talents, des chefs de file et des investisseurs d'ici ou d'ailleurs se sentiraient bienvenus.