Chaque fois qu'un crime particulièrement odieux comme l'affaire Magnotta se produit, la sphère médiatique, maintenant élargie par les médias sociaux, s'enflamme. Non seulement les images en boucle de la scène de crime sont diffusées à profusion, mais cette fois-ci le crime lui-même filmé par son auteur circule de manière virale sur l'internet.

Chaque fois, les spécialistes psys dont je fais partie sont sollicités de toute part. Qu'avons-nous de si intéressant à dire? Nous faisons état de narcissisme, sadisme, exhibitionnisme, manque d'empathie, double vie, etc.. Pas besoin d'être Freud pour comprendre cela: le gars s'est filmé en train de tuer un être humain, de le démembrer et de l'agresser sexuellement!

Ce qui m'apparaît le plus intéressant, c'est ce que nous ne disons pas, nous les spécialistes. On ne sait vraiment pas pourquoi un être humain en arrive progressivement à acquérir le goût du sang à un tel point. Les explications usuelles ne sont tout simplement pas à la hauteur: mal aimé par sa mère, père absent, bof! Qui n'a pas vécu cela à un moment donné ou l'autre?

Les recherches plus récentes se sont orientées vers l'exploration d'anomalies dans le cerveau, mais le phénomène est tellement rare et les techniques d'investigation demeurent encore trop peu sophistiquées pour qu'on puisse en arriver à des conclusions probantes.

J'ai côtoyé le phénomène de l'agression sexuelle depuis plus de 30 ans et chaque fois qu'une situation comme celle-ci se produit, je ne peux que faire les deux mêmes constats désolants. Premièrement, notre connaissance de ce type de phénomène a peu évolué au fil des années. Il faut dire que la recherche dans ce type de phénomène est complexe, sous-financée, mais comme il s'agit de cas isolés et peu populaires, cela se comprend peut-être.

Deuxièmement, je ne peux que constater que le citoyen ordinaire a aussi le goût du sang. Sinon, comment expliquer que la police a dû intervenir auprès de fournisseurs internet pour qu'ils cessent la diffusion d'un meurtre en direct? Comment expliquer le nombre effarant de citoyens ordinaires qui ont vu ou cherché à voir cette diffusion vidéo? Comment expliquer qu'on nous diffuse en boucle sur les chaînes d'information continue les images de la scène du crime, dont un réfrigérateur plein de sang, images qui seront vues des centaines de fois par des millions de personnes?

Il faudrait peut-être soumettre la question à d'autres spécialistes psys, sociologues, anthropologues et «logues» de tout acabit et en faire un «débat de société», re-bof. Quand on regarde les déferlements de violence sur la planète et plus récemment au Québec, on se rend compte que le monstre qui dort en nous peut s'éveiller facilement: pas de manière sadique bien sûr, notre violence à nous est toujours justifiée par une «noble cause». Ou serait-ce qu'en regardant couler le sang des autres, on se rassure sur le fait que nous sommes toujours vivants?