La liberté d'expression aura été passablement malmenée au cours du conflit du printemps 2012.

Des manifestants apostrophent un chroniqueur auquel ils reprochent des opinions qu'ils trouvent injustes à leur égard, un ministre réclame des sanctions contre un avocat salarié d'une agence publique ayant consacré ses loisirs à l'organisation d'une manifestation des juristes dénonçant une loi qu'ils jugent liberticide. De chaque côté, on appelle à sévir contre ceux qui s'expriment. On pourrait aligner de multiples exemples.

Ces appels à la censure ou au lynchage visent aussi bien un fonctionnaire qui a écrit à titre personnel des propos controversés sur les mouvements étudiants qu'un porte-parole étudiant à qui l'on reproche d'avoir exprimé une opinion sur le respect d'ordonnances judiciaires. Un point commun à tous ces appels à faire taire: de tous les côtés, on supporte mal la parole qui exprime des points de vue contraires au sien. Selon les croyances auxquelles on adhère, on s'empresse de réclamer de sanctionner ceux qui expriment des points de vue que l'on réprouve.

Bien sûr, il est légitime de trouver certaines déclarations exagérées, injustifiées ou carrément injustes. Mais le bon fonctionnement du débat démocratique impose à chacun de tolérer que l'autre dise ce qu'il pense sans crainte d'être puni uniquement pour avoir pris la parole.

Hélas, la tradition qui prévaut au Québec semble plutôt postuler qu'il ne peut exister qu'une seule et unique «Vérité» que chacun prétend évidemment être la sienne. Le vieux fond culturel imbibé de l'époque où la «Vérité» était décrétée par l'Église ou par d'autres élites semble encore bien vivant: de chaque côté, on tient «sa» vérité comme non susceptible d'être contredite.

Certes, dans toute société démocratique, il y a forcément des limites à ce qu'il est licite de dire ou écrire. En démocratie, cette limite ne devrait être que celle que prescrit la loi. Et la loi ne peut imposer que des limites clairement raisonnables et justifiables en contexte démocratique. En dehors des limites ainsi prévues, chacun doit avoir la liberté de s'exprimer sans crainte de recevoir des «visiteurs» sur son perron ou de se voir traîné devant les tribunaux simplement pour avoir exprimé une opinion.

Le débat public serait plus sain et permettrait sans doute le jaillissement de plus d'idées novatrices s'il n'était entravé par ces réflexes de censure qui se manifestent dès qu'une personne ose activer son clavier ou prendre la parole. Mais si la tendance se maintient, l'actuelle crise aura fait au moins une victime collatérale: la liberté d'expression.