« Et puis toi, qu'est-ce que tu penses du conflit et de la crise étudiante? »

Je me fais poser cette question plusieurs fois par jour; moi qui ai toujours une opinion sur tout, pour la première fois de ma vie, je ne sais pas quoi répondre! Tous les matins, je lis les journaux, je regarde les bulletins télévisés et j'essaie tant bien que mal de me forger une opinion et de prendre position, mais entre les arguments des grands penseurs universitaires, des analystes spécialisés et ceux des gens de la rue, je ne m'y retrouve plus.

Cependant, toutes les fois que je m'arrête pour réfléchir à la question, le même sentiment refait surface : j'ai la profonde impression d'être coincée entre les deux parties et d'être complètement oubliée dans mes droits de citoyenne.

D'une part, mon gouvernement - celui qui est censé me protéger et améliorer ma qualité de vie - se fout complètement de moi et de l'autre côté, les gens de la rue qui manifestent et monopolisent la place publique ne se soucient pas plus des citoyens autour d'eux.

Je suis prise en otage dans ma ville, dans ma province. Plus rien n'a de l'importance sauf ce foutu conflit étudiant! J'ai l'impression d'être une simple pourvoyeuse à qui l'on dit : «Toi, travaille et ferme ta gueule!»

Je voudrais manifester fortement mon indignation face à la situation, mais je n'ai pas le temps! Je dois travailler 45 heures par semaine et trouver le temps de prendre soin de mes cinq enfants... Alors jour après jour, quand je regarde les manifestations de toutes sortes, quand je vois les gens sortir dans la rue en groupes de plusieurs milliers de personnes, je me demande si ces gens travaillent, s'ils ont des responsabilités familiales et économiques...

Ces manifestants de tout acabit s'arrêtent-ils, ne serait-ce qu'un instant, pour penser aux conséquences de leurs gestes? Vous savez, l'autre côté, celui des pertes économiques des commerçants, celui des travailleurs qui sont pris chaque jour dans la circulation, celui de la facture des dépenses directement reliées à ces 102 jours de grèves.

Et voilà que s'ajoute maintenant cette nouvelle vague de casseroles! Je m'excuse, mais au risque de passer pour « pas très cool », je trouve cela carrément ridicule! Ce bruit infernal n'est pour moi qu'un manque flagrant de respect pour le voisin d'à côté, celui qui tente de se reposer avant de retourner travailler, ces jeunes enfants dont le sommeil est perturbé, ces personnes âgées souvent malades qui aspirent au calme, ces grands malades de tout âge qui souhaite un peu de sérénité autour d'eux.

Voyons donc! Plus rien n'a de sens et tout est prétexté pour manifester! Entre la beauté et la vigueur de la jeunesse et la sagesse tranquille de la vieillesse que fait-on des travailleurs? Qui se soucie de nos droits, de cette fatigue mentale qui s'accumule, de tous les torts qui nous sont infligés?

Je n'ai pas d'opinion précise sur le conflit, car je l'avoue, je suis désabusée et un peu cynique. Mais ce que je comprends cependant, c'est que bien au-delà de la perte économique, notre société est en train de perdre une valeur primordiale : le respect des uns envers les autres. Ne dit-on pas que la liberté de l'un s'arrête là où la liberté de l'autre commence?

Même si nous avons l'impression que rien d'autre n'a d'importance, la vie continue et les problèmes s'accumulent, la pauvreté persiste, des enfants ont encore faim, des malades attendent dans des corridors et le chômage augmente.

Qu'est-ce que je pense de ce conflit? J'aurai une réponse à vous donner le soir des prochaines élections provinciales alors qu'on annoncera que 98 % de la population est allée voter! À ce moment-là, et seulement à ce moment-là, je vais me dire : enfin, ils ont compris! Les gens ont compris que ce qu'y arrive présentement est notre faute à nous tous! C'est nous qui choisissons les gens qui nous représentent et qui prennent la direction de notre avenir. Mais sommes-nous capables d'admettre notre responsabilité et d'arrêter de dire encore et encore que c'est la faute du voisin d'à côté?