La violence et l'exaspération des derniers jours, découlant directement de l'inertie du gouvernement et d'une succession d'injonctions dans les établissements scolaires, ont donné lieu à toutes sortes de critiques adressées aux professeurs qui se sont prononcés contre la hausse des droits de scolarité.

Si M. Barbeau estime que les professeurs ont un «devoir de réserve» dans le conflit étudiant, les professeurs signataires de ce texte défendent le point de vue inverse, à partir d'une expérience et d'une conception de l'enseignement qui ne peut pas dissocier l'éducation et le politique.

Pourquoi enseigner ce qu'est la beauté, la vérité, la justice, pourquoi réfléchir à la complexité du langage et des idées, des choses et des êtres, si cette connaissance ne se traduit jamais concrètement dans la sphère sociale? Mettre les connaissances à l'épreuve du réel, comme les théories scientifiques doivent être soumises à l'expérimentation, n'est-ce pas, en partie, la tâche du professeur? Le danger serait justement de ne jamais soumettre la pensée à une telle épreuve; c'est ainsi qu'elle peut, sans le savoir, devenir aberrante ou stérile.

Or, depuis plus de 12 semaines, ce sont les politiciens, les journalistes, les chroniqueurs, les comptables lucides, les anciennes célébrités, les donneurs de leçons condescendants et paternalistes, qui nous demandent de rester au-dessus de la mêlée. Tous ces «profs» improvisés n'auraient pas, eux, à se soumettre au «devoir de réserve». Eux, dont l'autorité repose le plus souvent sur leur seule célébrité, invitent les autres professeurs enfermés dans leur classe, dans leur «tour d'ivoire», à leur laisser la place, car lorsque les choses deviennent sérieuses, lorsque la pensée doit s'occuper du réel, ces derniers n'auraient plus la compétence voulue pour éduquer leurs propres étudiants.

C'est alors à eux, à ces «profs» médiatiques, que reviendrait le devoir d'éduquer les étudiants et le bon peuple au nom du «gros bon sens», du «budget», de la «majorité silencieuse», de la «loi et l'ordre».

Ces «profs» médiatiques peuvent chercher à imposer un «devoir de réserve» à tous ceux dont c'est la tâche d'enseigner. Mais nous comprenons moins bien que des professeurs s'imposent ce même «devoir de réserve», cette «neutralité», sous prétexte que le professeur qui prend position dans un conflit non seulement influence les étudiants, mais risque de se couper de ceux qui ne partagent pas son point de vue. Cet argument ne se défend que si on admet le principe de neutralité.

Si tous les professeurs, pour ou contre la hausse, prenaient position, ils donneraient ainsi aux étudiants une vision objective des choses, c'est-à-dire qu'ils leur donneraient les moyens de former leur propre jugement. Si les profs qui appuient les étudiants prennent toute la place, c'est que les autres ne veulent pas l'occuper. La «neutralité», que ces derniers définissent comme la condition nécessaire à un enseignement de qualité, repose sur une conception de l'enseignement qui dissocie la pensée et l'action, la connaissance du réel et la transformation de celui-ci.

Nous invitons les partisans de la neutralité, qui sont pour la démocratie, à relire cette définition du droit à l'éducation telle qu'énoncée par l'UNESCO, à savoir que «le droit à l'éducation, à l'enseignement et à la recherche ne peut s'exercer pleinement que dans le respect des libertés académiques et de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur et que la libre communication des résultats, des hypothèses et des opinions se trouve au coeur même de l'enseignement supérieur et constitue la garantie la plus solide de l'exactitude et de l'objectivité du développement du savoir et de la recherche».

Pour qu'un débat public, notamment celui qui concerne l'éducation, se situe au-dessus des humeurs chroniqueuses et des intérêts politiques et financiers, les professeurs doivent y participer. Car l'objectivité à laquelle les étudiants doivent parvenir, avec l'aide de leurs professeurs, ne sera toujours au fond qu'une subjectivité éclairée et pleinement assumée.