Les réseaux sociaux sont des outils démocratiques extraordinairement utiles. Ils permettent aux citoyens de promouvoir leurs opinions et de transmettre leurs sources d'information de façon absolument indépendante. Ainsi, à l'ère de Facebook, personne n'est complètement exclu du débat public. Chacun a son mot à dire et une tribune pour le dire.

Cette universalisation de l'expression publique cause un problème inattendu : une surestimation de l'opinion populaire telle qu'on la trouve dans les réseaux sociaux. C'est-à-dire que, lorsque l'ensemble de nos amis Facebook promeuvent une opinion commune, on a l'impression que la société est consensuelle. Par contraste, les sondages d'opinion paraissent abstraits et peu fiables.

C'est là une grande illusion. Nos amis Facebook sont naturellement consensuels... puisqu'ils sont nos amis Facebook! Même s'ils sont des centaines, ils ont été sélectionnés au gré de rencontres qui n'ont rien d'aléatoire. Chaque groupe social constitue un réseau Facebook distinct; plusieurs groupes sont absents de Facebook. L'effervescence des échanges que l'on retrouve sur Facebook fait oublier l'existence de ceux qui n'y participent pas.

Cette illusion est l'un des facteurs qui expliquent le zèle de certains étudiants à poursuivre leur lutte. Le discours arrogant du gouvernement et les aspirations sincères des militants contribuent certainement à l'acharnement sans précédent qui anime le mouvement étudiant. Néanmoins, sans l'illusion Facebook, il est peu probable que les étudiants seraient si nombreux à vouloir poursuivre la grève dans un contexte aussi défavorable.

En effet, l'illusion Facebook détourne les pensées des étudiants du fait que l'opinion populaire est bien rangée du côté du gouvernement. Les manifestants ne devraient pas demander au gouvernement d'écouter le peuple : ils devraient demander au peuple de les écouter. Cependant, puisqu'ils ont l'illusion que le peuple est déjà derrière eux, ils s'insurgent contre un gouvernement qui refuserait de faire des compromis avec les tenants de la position populaire.

Il importe que les étudiants prennent conscience de leur statut minoritaire. La majorité n'a pas le pouvoir d'enfreindre les droits fondamentaux des individus, mais le financement public de l'éducation n'est pas un droit individuel. Par nature, il s'agit d'une question politique. Il s'agit donc d'une question sur laquelle la majorité a le dernier mot.

À ce point-ci, le gouvernement n'a aucun intérêt politique à flancher sous la pression étudiante. L'entente conclue samedi dernier comporte des concessions beaucoup plus importantes de la part des étudiants que de la part du gouvernement puisque celui-ci jouit d'une supériorité démocratique définitive.

Le 22 mars dernier, les étudiants ont organisé l'une des plus grandes manifestations citoyennes de l'histoire du Québec. Plus de 30% de la population appuie les étudiants; ce sont plus de deux millions de Québécois qui sont d'accord avec leurs revendications. L'ampleur des appuis dont bénéficient les étudiants n'est pas une illusion; le mouvement étudiant est tout sauf marginal. Il reste que les Québécois sont plus nombreux encore à appuyer le gouvernement, et que les étudiants doivent admettre qu'ils ont échoué à rallier la majorité.

Je suis de ceux qui croient que, dans le contexte de corruption et de gaspillage que vit présentement le Québec, la hausse des droits de scolarité est injustifiée. Néanmoins, je reconnais que la victoire est maintenant impossible. L'appui populaire au gouvernement a augmenté de 59% à 68% durant le dernier mois de grève et les votes de fin de grève commencent à s'accumuler : la situation est critique.

L'entente proposée aux étudiants ne constitue pas une victoire, mais il ne s'agit pas non plus d'une défaite complète. Les étudiants doivent accepter cette conclusion décevante plutôt que de parier sur le succès ultérieur d'un rapport de force illusoire.