À 18 ans, je suis en train de boucler mes études collégiales et bientôt, je franchirai les portes de l'université à la grande joie de mes parents qui, depuis le début, ont usé de tous leurs moyens pour me donner une éducation de qualité.

Comme tout étudiant ordinaire, je me sens interpellée par cette crise entre les grévistes et le gouvernement Charest. Mais contrairement à la majorité des miens, je vis depuis un mois et demi une situation particulière: alors que commençait la grève, mon père a été congédié par Aveos.

Ainsi, je suis devenue témoin d'une double scène d'injustice sociale perpétrée par les puissants contre une classe moyenne de plus en plus pauvre: d'un côté, au lieu de rappeler les riches au devoir, on préfère imposer un fardeau fiscal sur une génération avide de savoir; de l'autre côté, on congédie des travailleurs et pères de famille en se drapant sous la «légalité» complice du pouvoir politique. Et entre les deux, il y a moi, une jeune adulte tiraillée.

Comment ça «tiraillée»? Je vous explique. Je ne reviendrai pas sur la situation difficile de mon père et de ses collègues, car l'entreprise est clairement la seule et entière fautive dans cette histoire indigne. Néanmoins, lorsque mon père observe la grève étudiante, il ne peut s'empêcher d'éprouver de sérieux doutes mélangés de critiques à l'endroit des carrés rouges, en particulier contre la CLASSE.

Immigrant, mon père s'est toujours acharné à ce que ses enfants puissent se hisser dans les plus hautes sphères de l'emploi. La famille et l'éducation sont des valeurs qui lui sont très chères, ce qui fait que, malgré quelques difficultés financières, il a tenu à payer tous mes droits de scolarité et à m'envoyer dans des collèges prestigieux. Avec les années, j'ai compris que ces deux valeurs représentent la recette du succès futur de l'individu dans la société.

Lorsqu'il scrute cette même société, mon père déplore la désintégration familiale qui caractérise une bonne partie de la population québécoise et qui explique, selon lui, la déresponsabilisation parentale et, par conséquent, le taux alarmant de décrochage scolaire chez les jeunes. Je ne peux moi-même m'empêcher, malgré mon opposition à la hausse des droits de scolarité, d'être inquiète quand je vois la grève s'étendre dans les écoles secondaires. Je me demande même: où laisse-t-on aller nos adolescents?

Parallèlement, j'ai de sérieuses réserves face aux méthodes des étudiants en grève et de la CLASSE en particulier. Elles ont commencé lorsque les manifestants ont bloqué l'accès aux étudiants non grévistes qui ne sont pas tous nécessairement pour la hausse, mais qui souhaitaient seulement continuer leurs cours parce que leurs parents leur ont inculqué le sens de la réussite.

Je me suis donc sentie très solidaire lorsque j'ai vu tous leurs efforts gâchés par l'annulation forcée de leur session, causée par une minorité qui réclame paradoxalement le droit à l'éducation.

Je ne suis donc pas étonnée de constater que la CLASSE, avec sa position ambiguë sur la violence, attire de plus en plus l'antipathie du reste de la société. Pourtant, c'est cette même société cynique qui souffre des abus des puissants et c'est donc pour ça que je suis «tiraillée».

Comment une société aussi meurtrie pourrait-elle s'indigner si elle n'arrive pas à donner le bon exemple à ses enfants? C'est une question qui dépasse largement le débat sur les droits de scolarité: c'est une question qui appelle à un changement important des mentalités sociales, d'abord de la sphère familiale, puis de la sphère politique.